(VL) La nouvelle mouture du
Rapport agricole est sortie ce mardi. L’année agricole 2015 a été bien en retrait par rapport aux bons résultats de 2014. Les résultats officiels fournis par l’Office fédéral de la statistique (OFS) indiquent une valeur générale de la production de 10.1 milliards de francs (-6%) et une valeur ajoutée de 1.8 milliard (-15%). Selon les calculs de l’OFS, la valeur ajoutée est en recul de 300 millions par rapport à l’année précédente. Selon l’Institut fédéral de recherche Agroscope, ce recul s’explique par la chute des prix du lait et de la viande de porc, ainsi qu’une production végétale en baisse à cause de l’été sec.
Ces chiffres ne reflètent qu’une partie de la réalité économique, car la production bénéficie d’un fort soutien au prix. Ce soutien, supporté par les consommateurs et les contribuables, est considéré comme faisant partie intégrante de la valeur ajoutée de l’agriculture. Ceci contribue également à exagérer le rôle que joue l’agriculture suisse dans l’économie nationale. En parallèle, les bénéfices générés pour notre société par l’agriculture sont passés sous silence, mais aussi les externalités comme certaines pollutions. Ces différentes raisons avaient poussé Vision Agriculture à calculer toute une série d’indices selon la méthodologie définie par l’OCDE pour l’année 2014 (voir
Fiche Info n°6). Voici donc la suite de ces résultats pour l’année 2015.
La véritable valeur ajoutée a diminué d’un milliard de francsLa valeur de la production agricole de 2015, convertie aux prix européens, a diminué de 1.2 milliard par rapport à l’année précédente (-19%). Pour des produits suisses qui ont atteint une valeur de 10.1 milliards de francs sur le marché national, grâce aux soutiens au prix, des acheteurs étrangers auraient payé de 5.5 milliards pour des produits équivalents. L’une des cause de ce recul drastique se trouve aussi dans l’abandon par la Banque Nationale en janvier 2015 du taux plancher de conversion de 1.20 franc pour un euro. De ce fait, les coûts de productions sont 85% plus élevés en Suisse qu’à l’étranger, selon l’OCDE, alors qu’il ne l’était que de 59% l’année précédente. La dernière fois que cette différence était aussi importante date d’il y a 10 ans.
La valeur effective du service rendu à la population par l’agriculture a progressé de quelques 200 millions et s’élève actuellement à 1.4 milliard (+16%). La majeure partie de cette haute est due aux contributions à l’estivage (+96 millions) ainsi qu’aux contributions à la qualité du paysage (+55 millions). Il est à noter que cette augmentation n’est pas liée aux contributions de transition. Cependant, l’agriculture ne génère pas que des bénéfices pour notre société, mais cause aussi des externalités supportée par la population. Il n’y a aucune évidence que ces coûts aient récemment évolués de manière significatives et la valeur de 0.9 milliard de francs pour toujours être considérée comme valable.
L’une des raisons de ces coûts élevés de l’agriculture suisse est « la valeur ajoutée de sa multifonctionnalité », ainsi que la valeur ajoutée nette des services rendus à la population, qui combinés génère un coût de 2.3 milliards de francs et font plonger les chiffres dans le rouge. La valeur totale est constituée d’un part par la valeur marchande des biens produits (5.5 milliards) et les services rendus à la population (1.4 milliards) et d’autre part par les externalités supporté par la société (-0.9 milliard), les achats des moyens de production (-6.2 milliards) et les amortissements (-2.0 milliards). La balance de la valeur ajoutée nette est donc moins élevée de 800 millions de francs que l’année précédente.
Le soutien des consommateurs s’est accru de 800 millions de francsCette différence de prix, énorme en comparaison étrangère, signifie aussi que le soutien des consommateurs pour l’agriculture s’est fortement accru en 2015. Toujours selon les chiffres de l’OCDE, ce soutien s’est élevé à 4.4 milliards de francs (3.6 Mia pour l’année précédente). Le soutien total dont a bénéficié l’agriculture en 2015 s’élève à 8.2 milliards (7.4 Mia pour 2014) si l’on compte les subventions versées par la Confédération et financées par les contribuables. Les soutiens indirects par le protectionnisme à la frontière dépassent même ces soutiens directs, comme le prouve le budget fédéral. Cependant, ces 8.2 milliards ne sont pas que des subventions, au sens strict de l’OCDE (paiement sans contrepartie). Une portion de ces paiements va effectivement pour des services rendus à la population ainsi qu’à la gestion administrative des exploitations. Si ces valeurs sont soustraites des données de l’OCDE et les coûts externes ajoutés (comme soutien externe indirect), la valeur de ce soutien n’a pas de contrepartie. Et ce montant est passé de 6.8 à 7.4 milliards entre 2014 et 2015 (+8.4%).
En toute logique, le niveau des services rendus à la population devrait être proportionnel aux dépenses fédérales en matière d’agriculture. Sur l’entier des paiements directs (2.8 Mia) versé en 2015, 48% sont destinés à des services pour la population (43% en 2014). Dans le budget agricole total (3.4 Mia), 42% sont consacrés aux paiements de services rendus à la population, tandis que 43% sont consacrés à la production de nourriture et d’autres biens. De manière générale, plus de la moitié de l’argent dépensé par la Confédération pour l’agriculture, sous diverses formes de soutien, l’est en fait sans contrepartie.
L’agriculture perd pendant que l’industrie gagneLes chiffres montrent que la situation économique réelle de l’agriculture suisse a continué à se détériorer. Et ceci passe inaperçu parce que la Confédération ne présente qu’une version partiale des réalités économiques de l’agriculture, ce qui a pour effet d’embellir la situation. Dans les faits, la valeur ajoutée de l’agriculture suisse est extrêmement négative, ce qui aurait de quoi inquiéter en comparaison internationale. De plus, la situation continue de se détériorer, conséquence d’une politique agricole chaotique ces dernières années.
La valeur ajoutée de l’agriculture restera négative ces prochaines années tant qu’une réforme en profondeur de la politique agricole ne sera pas entreprise. Cette valeur négative est l’expression pure et simple d’une production beaucoup trop intensive. Les investissements colossaux en machine, en aliments concentrés et en énergie augmentent considérablement les coûts, bien plus que ce que peuvent compenser les gains additionnels générés par l’augmentation de la productivité.
La situation catastrophique de la valeur ajoutée est causée par une agriculture très intensive, motivée par des incitations à la production directes ou indirectes. On y trouve pêle-mêle des primes par kilo de lait, par hectare de betteraves, par kilo de sucre ou par tonne de carburant, mais également des paiements à taux fixe, tout cela sous couvert de la « sécurité de l'approvisionnement » et de « contributions au paysage cultivé », le tout pour un coût de 1.5 milliard de francs par année. C’est 5 à 10 fois plus qu’à l’étranger et l’agriculture suisse reste donc dépendante de ces diverses primes. Et les filières en amont ou en aval profitent largement de ces primes. Pendant que la valeur ajoutée de la production agricole essuyait une perte massive entre 2014 et 2015, les profits du groupe Fenaco ont bondi de 65% pour atteindre 96 millions de francs.
En résumé, la méthode de calcul utilisée par la Confédération permet de présenter sous un jour très favorable les résultats de l’économique agricole, pendant que le contribuable et le consommateur par leur soutien aux prix continuent à maintenir une valeur ajoutée élevée. Si l’on corrige pour l’inflation, la valeur ajoutée perd un autre milliard pour se retrouver à moins 2.3 milliards de francs. En parallèle, les subventions se sont accrues entre 2014 et 2015 de 6.8 à 7.4 milliards de francs, ceci sans contrepartie.
Une évaluation réaliste, sans fard, de la situation économique de l’agriculture suisse est essentielle pour permettre à la politique agricole de tirer les conclusions qui s’imposent, ce qui permettrait ainsi d’établir quels sont les facteurs clés pour les orientations à donner dans le futur.
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Base de calculsLes données utilisées proviennent des chiffres officiels de l’Office fédéral de la statistique (OFS), de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Pour évaluer les services rendus à la population et les externalités, d’autres sources ont dû être utilisées. La méthode est décrite en détail dans la
Fiche Info n°6 de Vision Agriculture. La compilation des indices économiques pour la période 2010-2015 sont disponibles ici.