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VISION AGRICULTURE / 6.3. 2019

PA22+: de nouveaux indicateurs contre le manque de transparence et l’immobilisme

PA22+: de nouveaux indicateurs contre le manque de transparence et l’immobilisme

Jusqu’à présent, l’impact de la politique agricole était mesuré avec des indicateurs qui voilaient plus qu’ils ne clarifiaient. Ce manque de transparence est une condition préalable décisive pour que le Parlement puisse axer la politique agricole en grande partie sur les intérêts de l’industrie proche de l’agriculture, plutôt que sur les objectifs fixés par la loi. Pour remédier à cette situation, Vision Agriculture a publié, en collaboration avec d’autres organisations, 21 indicateurs. Ils donnent pour la première fois un aperçu général de la réalisation des objectifs de la politique agricole en se basant sur les bases légales. Ils montrent que seuls 2 des 21 objectifs sont atteints. Cela concerne non seulement tous les objectifs environnementaux importants, mais aussi les objectifs économiques et sociaux qui ne sont pas atteints, souvent largement. Dans le même temps, les ressources les plus importantes sont utilisées pour des objectifs qui ont déjà été plus qu’atteints.

(VA) Depuis vingt ans, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) publie une série de données chiffrées, des indicateurs, afin d’évaluer la réalisation des objectifs de la politique agricole et d’identifier les mesures supplémentaires nécessaires.

Toutefois, les indicateurs utilisés jusqu’à présent sont trop peu clairement axés sur les objectifs légaux, et donc peu pertinents. Par exemple, la sécurité de l’approvisionnement en cas de crise est mesurée par rapport à la quantité de calories produites aujourd’hui, sans rapport avec le besoin en différentes denrées alimentaires et indépendamment de savoir si les conditions pour la production seraient aussi disponibles avec une crise des importations. Pour certains objectifs importants de la politique agricole, tels que la réalisation d’un objectif en matière de revenu selon la Loi sur l’agriculture (Art. 5 LAgr) ou la compétitivité, aucun indicateur n’a été publié à ce jour.

Vision Agriculture désapprouve depuis longtemps les indicateurs de la Confédération considérés comme inadaptés, et a soumis à l’OFAG des analyses et des propositions pour de nouveaux indicateurs l’an dernier. Les propositions, ainsi qu’une interpellation au Parlement, ont sans doute contribué à ce que l’OFAG propose de nouveaux indicateurs dans la consultation sur la PA22+. Mais ils ne sont pas meilleurs que les anciens. Il manque des thèmes importants, la référence aux objectifs reste très vague, et les valeurs des indicateurs ne sont pas comparées aux valeurs cibles légales. De plus, les indicateurs sont difficilement identifiables sur la base du cadre législatif (Art. 185 LAgr et ordonnance sur la durabilité).

Nouveaux indicateurs

Vision Agriculture, en collaboration avec d’autres organisations, a donc développé un nouvel ensemble de 21 indicateurs. Ces 21 indicateurs englobent 10 domaines cibles: 7 indicateurs sont associés aux domaines social / économie / approvisionnement, 7 aux domaines environnementaux sol, air et eau / eau souterraine, 3 au domaine biodiversité, 2 au domaine paysage et 2 au domaine du bien-être des animaux.

Les indicateurs ont été définis sur la base de principes clairs et de nombreuses discussions avec des experts. Ils doivent donner un aperçu général sur la réalisation de la politique agricole dans tous les domaines cibles importants, allant de l’économie au bien-être animal, sur la base de chiffres disponibles actuellement. Les valeurs cibles ont ainsi été calculées aussi directement que possible à partir des bases légales.

Les indicateurs montrent  (voir la fig. 1 en français pour les détails, disponible également en italien) que:
1. Seuls 2 des 21 objectifs ont été atteints. Sont souvent loin d’être atteints non seulement tous les objectifs environnementaux, mais aussi les objectifs économiques et bien d’autres.
2. Les objectifs atteints ou dépassés sont la contribution à la sécurité de l’approvisionnement en cas de crise et le revenu cible conformément à la loi sur l’agriculture (Art. 5 LAgr).
3. Précisément, c’est pour les objectifs déjà plus qu’atteints que les moyens les plus importants sont injectés – par exemple les paiements directs pour la sécurité de l’approvisionnement et des (autres) formes de soutiens au revenu forfaitaires.
4. Seule une fraction de l’argent (environ 1,5 milliard de francs) est utilisée pour les prestations d’intérêt général de l’agriculture, qui servent de justification au soutien total de 7 milliards de francs.
5. Seule une fraction qui n’est pas liée à des prestations, donc à un soutien à motivation sociale, bénéficie aux exploitations qui ont particulièrement besoin de ce type de soutien.

Ces résultats signifient que les moyens de la politique agricole sont utilisés d’une manière tout sauf ciblée.

Système d’immobilisme

Le manque de transparence sur l’utilisation des moyens et l’effet des mesures, a un système dans la politique agricole. Le Conseil fédéral et l’administration facilitent ainsi le guidage de l’argent des contribuables vers l’agro-industrie par le Parlement, encore et toujours sans prendre en compte les intérêts des consommateurs-trices et des contribuables.

Avec le manque de transparence actuel, les contribuables et les consommateurs-trices restent dans l’ignorance quant à l’impact des 5 milliards d’argent public – ou dans la croyance, diffusée par l’Union suisse des paysans, qu’une orientation plus forte du soutien vers une production respectueuse de l’environnement menacerait l’existence des agriculteurs et l’agriculture suisse. Tant que la population y croit, elle est prête à s’arranger avec les coûts élevés et les dommages environnementaux.

Si les 5 milliards étaient utilisés de manière ciblée, les 21 objectifs de la politique agricole pourraient être atteints en quelques années, comme l’ont déjà montré en 2010 des modèles de calcul dans le Livre Blanc de Vision Agriculture. Au lieu de cela, le soutien est versé jusqu’à ce jour principalement aux producteurs d’aliments pour animaux, à de puissants groupes commerciaux et aux industries comme Fenaco, qui est représenté au Conseil fédéral par deux anciens membres du conseil d’administration.

Les fonds publics favorisent ainsi une agriculture suisse industrielle et basée sur les importations, qui surfertilise les eaux, continue de réduire encore la diversité des espèces, et dévalue le paysage suisse avec des poulaillers et des serres - tout en incitant de nombreuses exploitations à faire des investissements peu judicieux des points de vue macro-économique et souvent aussi opérationnel.

Soutien à la transparence

Vision Agriculture demande à la Confédération de faire preuve de transparence avec ses propres indicateurs concernant l’utilisation et l’impact de l’ensemble des 7 milliards de francs. Il faut en particulier rendre transparent les effets des 5 milliards de francs de soutien forfaitaire. Les bases pour cela sont déjà en grande partie disponibles à la station fédérale de recherche Agroscope, mais elles doivent cependant être préparées de manière compréhensible.

Il faut également réallouer les soutiens qui ne sont pas axés sur les objectifs, à des contributions ciblées, ou alors les éliminer. Une évaluation des besoins serait donc appropriée pour les soutiens qui ne sont pas liés à des prestations (c’est-à-dire à motivation politico-sociale). Les demandeurs devraient être tenus de prouver (a) qu’ils gèrent leur exploitation selon des critères économiques, (b) qu’ils contribuent à la réalisation des objectifs environnementaux et (c) qu’ils ne dépassent pas un certain revenu du travail. Cela empêcherait le soutien au revenu d’être versé à une production coûteuse et dommageable pour l’environnement, qui va à l’encontre des objectifs de la Constitution et des lois.

PA22+: beaucoup d’effort, peu d’impact

Avec la politique agricole 2022, dont la consultation vient de se terminer, la Confédération a laissé entrevoir une utilisation plus efficiente des fonds fédéraux. Pourtant, les propositions sont loin de dépeindre des objectifs clairs, des indicateurs transparents et des mesures efficaces. Les nombreux petits ajustements au niveau des lois et des ordonnances impliquent beaucoup de travail administratif, mais ils ne changent pas grand-chose aux milliards d’argent public déversés dans l’agro-industrie.

Vision Agriculture demande à la Confédération de revoir et de corriger la réforme agricole 2022+ en profondeur et de commencer enfin à s’attaquer aux problèmes connus avec des mesures qui sont déjà connues de longue date (voir Consultation en allemand).

Documents complémentaires:

>> Rapport complet en allemand "Indikatoren für die Beurteilung der Agrarpolitik" (avec résumés en français et en italien)

>> Résumé "Indicateurs d’appréciation de la politique agricole suisse"

>> Riassunto "Indicatori per la valutazione della politica agricola svizzera"

>> Berechnungsgrundlagen (bases de calcul pour les valeurs relatives aux indicateurs 2019, table Excel, en allemand)

>> Étude de base (en allemand) "Indikatoren für den Stand der Zielerreichungen der Agrarpolitik: Grundlagen und Vorschläge" (Schläpfer F., 2018)