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CONTRIBUTION 25.1. 2024

Amélioration des indemnisations en cas de divorce dans l’agriculture

La motion 19.3445 « Indemniser équitablement le conjoint ou le partenaire enregistré d’un exploitant agricole en cas de divorce » a été déposée au Parlement en 2019 et adoptée par les deux Chambres. En automne 2023, la Confédération a présenté une proposition de mise en œuvre et l’a soumise à consultation.

L’équipe de projet « Les femmes dans l’agriculture : leur donner plus de visibilité, les renforcer et les relier entre elles » de Vision Agriculture et de la BFH-HAFL a élaboré une prise de position sur le projet de loi en se basant sur les résultats du projet obtenus à ce jour et sa longue expertise sur le thème des femmes dans l’agriculture. La solution proposée par la Confédération est insuffisante pour la mise en œuvre dans la pratique. Nous proposons des mesures additionnelles et des adaptations de lois.

L’exploitation familiale traditionnelle comme standard

En Suisse, l’exploitation agricole familiale est la forme habituelle d’une exploitation agricole. Le droit matrimonial et le droit successoral pour l’agriculture sont ancrés dans la loi fédérale sur le droit foncier rural (LDFR). Une exploitation familiale se caractérise par la présence d’au moins deux générations ainsi que la coopération et la solidarité entre les générations. Celles-ci travaillent ensemble et se soutiennent mutuellement. Ce qui définit par ailleurs l’exploitation familiale est la remise de l’exploitation d’une génération à la suivante, ce qui implique la présence d’enfants et leur éducation en tant que successeurs potentiels (Nave-Herz 2006). S’inspirant du modèle familial bourgeois selon lequel le travail productif et le travail reproductif étaient séparés et le rôle de la femme était réduit à des tâches d’entretien non rémunérées (p. ex. Folbre 2001), un idéal d’« exploitation agricole familiale traditionnelle » s’est développé. Celui-ci voit l’homme comme chef de famille et chef d’exploitation (Brandth 2002 ; Little 2006) ainsi que propriétaire et responsable des travaux de l’exploitation. La femme en revanche assume les tâches familiales et le ménage et peut être employée en outre dans l’exploitation comme main-d’œuvre flexible (Koller 1965).

Le rôle méconnu des femmes dans l’agriculture

À travers les processus de changement dans la société et dans la politique, cette image traditionnelle des rôles et l’attribution stricte des domaines de travail s’estompe peu à peu. Les femmes assument des tâches importantes, par exemple en exerçant une activité lucrative hors de l’exploitation ou en diversifiant leurs activités au sein de l’exploitation, et contribuent à l’accroissement du revenu de l’exploitation (Contzen 2013). Les femmes sont en outre les instigatrices avérées d’une agriculture innovante et durable (Fhlatharta et al. 2017; Serpossian et al. 2022) et assument une fonction importante dans les processus d’adaptation (Heggem 2014). Elles jouent donc un rôle essentiel dans la transformation vers une agriculture plus durable et plus écologique.

Des lois datant en partie de 1951

Les adaptations des lois aux nouvelles réalités dans les familles paysannes ont été frileuses jusqu’ici. Ainsi, la loi fédérale sur le droit foncier rural actuellement en vigueur est basée sur plusieurs concepts issus de la loi précédente de 1951, notamment en matière de protection sociale des conjoints et partenaires. En règle générale, le chef d’exploitation est enregistré en tant qu’indépendant, tant auprès de l’AVS que de l’administration fiscale. En revanche, la couverture sociale de la partenaire travaillant sur l’exploitation (dans la grande majorité des cas, ce sont encore les hommes qui possèdent l’exploitation et les femmes qui y travaillent) n’est pas suffisamment ancrée dans la loi. Si elles ne sont pas annoncées en tant qu’employées et rémunérées en tant que telles, leur contribution économique ne doit pas figurer dans le compte d’exploitation (et donc pas non plus dans la déclaration d’impôts). Une autre grande lacune réside dans le fait que leurs biens propres ne doivent pas être mentionnés explicitement, qu’il s’agisse du salaire d’un emploi hors de l’exploitation ou même des biens propres apportés dans le mariage / partenariat. Leur capital propre se fond ainsi complètement dans le compte d’exploitation et ne peut plus être justifié par la suite. Même si l’exploitation bénéficie d’un soutien financier étatique de milliers de francs pour des mesures d’améliorations structurelles (p. ex. pour la construction d’une nouvelle étable), le législateur n’exige aucune preuve de versement d’un salaire à la partenaire travaillant dans l’exploitation. Les conséquences de cette couverture légale insuffisante font qu’en cas de divorce, la partenaire du chef d’exploitation n’est pas en mesure de prouver sa contribution économique passée ; elle est ainsi fortement désavantagée et se retrouve souvent sans le sou.

La Confédération mise avant tout sur le conseil

Pour combler cette lacune – qui concerne uniquement l’agriculture et non pas les autres travailleurs indépendants –, une motion (19.3445) a été déposée au Parlement fédéral en 2019 et acceptée par les deux Chambres. À l’automne 2023, la Confédération a présenté une proposition de mise en œuvre et l’a soumise à consultation.

La motion propose notamment que le conjoint ou le partenaire enregistré perçoive un salaire en espèces en qualité de membre de la famille participant aux travaux de l’exploitation ou qu’il reçoive une partie du revenu agricole (les acquêts) en qualité de travailleur indépendant. Si le conjoint ou le partenaire enregistré n’a pas reçu sa part des acquêts, il doit se voir reconnaître par la loi le droit de recevoir une indemnité équitable en cas de divorce.

Plutôt que proposer une solution légale claire, la Confédération opte pour une autre solution et souhaite régler le problème par le conseil. La condition préalable à l’octroi d’aides financières de l’État pour des améliorations structurelles individuelles de l’exploitation est que les deux partenaires se fassent conseiller ensemble en matière de droit matrimonial et de réglementation de la collaboration ou alors qu’ils fournissent la preuve du versement d’un salaire en espèces ou de l’octroi d’une part du revenu agricole. Ils peuvent néanmoins aussi faire les deux choses.

La couverture sociale demeure insuffisante

L’équipe de projet tire les conclusions suivantes sur la base des connaissances acquises dans le projet et de son expertise de longue date sur le thème des femmes dans l’agriculture : selon différentes études et enquêtes, la situation des femmes dans l’agriculture n’est pas aussi bonne que selon le rapport de la Confédération. Malgré quelques progrès, un besoin urgent d’amélioration des indemnisations et de la couverture sociale existe toujours pour les conjoints / partenaires travaillant dans l’agriculture. 

Il s’agit d’examiner d’un œil critique la proposition visant à miser sur le conseil. Divers projets de sociologie agricole de la BFH-HAFL indiquent que des services de conseil agricole sont réticents à aborder les thèmes « sociaux » lors des consultations. Ces réticences reposent d’une part sur le fait que les personnes en charge du conseil ne se sentent pas assez compétentes en la matière et, d’autre part, qu’elles ne veulent pas se mêler des affaires privées de la famille paysanne. Une récente enquête de la BFH-HAFL sur la couverture sociale des conjointes et partenaires travaillant dans l’exploitation a montré que les représentations traditionnelles que se font les conseillers et conseillères du rôle des hommes et des femmes pouvaient également exercer une influence.

L’adaptation proposée de la loi n’est qu’un tout premier pas vers l’alignement du droit matrimonial et social dans l’agriculture à celui en vigueur pour le reste de la population. L’équipe de projet a donc proposé des mesures supplémentaires en vue d’améliorer la situation des conjoints / partenaires travaillant dans l’exploitation agricole incluant des adaptations de lois dans le domaine du droit foncier rural et dans les dispositions de la prévoyance professionnelle. D’autre part, les incitations négatives relatives aux déductions d’impôts doivent être éliminées et des adaptations dans la façon de déclarer les prêts pour les aides de l’État à l’investissement doivent être entreprises.

Lien vers le document « StellungnahmeMo19.3445_VisionLandwirtschaft_BFH-HAFL »