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NEWSLETTER 11.4. 2024

Énergie solaire et framboisiers : quand les champs ne produisent pas seulement des baies

Énergie solaire et framboisiers : quand les champs ne produisent pas seulement des baies

(VA) Si la Suisse veut atteindre l’objectif climatique zéro émission d’ici 2050, elle doit notamment trouver des idées innovantes de production d’énergie. La visite d’une culture de framboises dans la campagne lucernoise illustre la contribution que pourrait apporter l’agriculture à la transition énergétique.

En cette journée ensoleillée du début mars, les températures douces laissent présager le temps estival sur le plateau lucernois : chaud et ensoleillé. Les plantes ont certes besoin de l’énergie du soleil pour croître, mais à partir d’un certain point, la chaleur devient trop forte pour elles. Le rayonnement solaire toujours plus intense cause des brûlures sur les baies qui deviennent invendables sur le marché frais. Jusqu’ici, la solution consistait à recouvrir les cultures de filets. Le paysan Heinz Schmid a aussi procédé de la sorte. Mais à partir de cette année, il change de méthode. Le producteur de baies tente un essai : ce sont désormais des panneaux solaires qui ombragent une partie de ses framboisiers. Vision Agriculture a rendu visite au chef d’exploitation peu avant l’achèvement de l’installation.

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L’électricité représente un précieux revenu accessoire

Les installations solaires sur des surfaces agricoles, abrégées agri-PV, sont autorisées en Suisse depuis l’été 2022. La construction d’installations solaires en zone agricole est permise à condition que celles-ci présentent un avantage pour la production agricole ou qu’elles servent à des fins d’expérimentation ou de recherche. Cela signifie que les surfaces agri-photovoltaïques doivent continuer de servir en premier lieu à la production de denrées alimentaires, l’électricité étant produite accessoirement.

La plus grande installation agri-photovoltaïque actuelle de Suisse est située dans le canton de Lucerne, chez Bioschmid à Aesch. La ferme, exploitée selon les directives de l’agriculture biologique depuis 1996, produit notamment des myrtilles et des framboises. À l’instar d’autres producteurs de baies, Heinz Schmid couvrait jusqu’ici de temps à autre ses cultures de filets et de films de protection. Ces filets non seulement protègent les plantes contre les événements météorologiques violents comme la grêle ou les fortes pluies, mais ils procurent aussi de l’ombre aux baies durant les périodes de forte chaleur. Exposées à des températures supérieures à 27 °C, les baies souffrent de stress dû à la chaleur : lorsque la plante a emmagasiné la lumière nécessaire à sa croissance, elle ne peut plus stocker de produits métaboliques par la photosynthèse, ce qui entraîne une diminution de la qualité.

Sur une surface expérimentale correspondant à la taille d’un terrain de football, ses framboises sont désormais ombragées par des panneaux solaires. Pour Heinz Schmid, une chose est claire : « La production agricole est prioritaire chez nous. » Il continuera à récolter la même quantité de baies en maintenant leur qualité, tout en produisant de l’électricité pour environ 110 ménages.

/_visionlandwirtschaft_prod/uploads/Bilder in Newsletter/opt_agripv6.jpgPhoto : Disposition des panneaux solaires dans un système de culture traditionnel avec filets de protection  

« Ça fait longtemps que je rêvais d’agri-photovoltaïsme »

C’est grâce à Monika et Heinz Schmid que cette installation a vu le jour ici. Il y a seize ans, Bioschmid posait sa première installation solaire sur le toit de la grange et, quelques années plus tard, il étendait l’installation à tous les bâtiments ruraux de l’exploitation. Enthousiasmé par le solaire, Heinz Schmid avait l’idée de relier la production d’énergie solaire et son exploitation opérationnelle. « Apparemment, j’envisageais déjà l’agri-photovoltaïsme », sourit Heinz Schmid. L’idée de produire de l’énergie au-dessus de ses cultures de baies, sur une surface dont il dispose en tant qu’agriculteur, ne l’a plus lâché depuis. Il a d’abord entrepris lui-même un premier essai sur quelques mètres carrés en installant quelques panneaux à proximité immédiate de sa maison, afin d’observer l’effet que pourrait avoir une telle installation sur les baies. « Quasiment personne ne l’a remarquée », les panneaux passant inaperçus entre les filets usuels des cultures de framboises. Et les baies ? Elles ont poussé aussi bien que celles situées sous les filets. L’effet réel n’a toutefois pas pu être mesuré avec précision sur la petite surface.

Mais cette tentative personnelle a motivé Heinz Schmid à développer son idée à plus grande échelle. À l’occasion d’un échange avec des producteurs bio et la station de recherche Agroscope, une collaboration s’est concrétisée et la décision a été prise de lancer un projet de recherche sur son exploitation. C’était à l’automne 2021. Après des discussions préalables avec le canton, des modifications de la loi, des calculs et une garantie de financement, l’installation est désormais à bout touchant au printemps 2024 et sera exploitée prochainement à des fins de recherche.

En jetant un regard sur son installation, le chef d’exploitation déclare en souriant : « Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est un petit miracle ». Contre toute attente, les choses se sont bien déroulées dans l’ensemble et il a reçu un large soutien des propriétaires des fonds, de la commune, du canton et de l’Office fédéral de l’énergie qui finance également le projet. « Nous avons été soutenus par des fondations et les partenaires nous ont accordé des rabais », déclare Heinz Schmid.

Les premiers résultats sont attendus cet automne

Sur l’installation de Bioschmid, il s’agit de comparer trois systèmes solaires différents, situés à proximité immédiate de la zone de comparaison où les framboises sont cultivées de la manière traditionnelle (voir aussi « Comparaison entre les trois différents systèmes agri-photovoltaïques »). Les effets sur l’agriculture et le potentiel d’une installation solaire posée au-dessus du champ, ainsi que les effets sur la santé des plantes, sur les méthodes de cultures et sur le sol et la biodiversité seront analysés sous la supervision scientifique de l’Agroscope. Dans certains systèmes, les panneaux couvrent notamment durablement le sol et les précipitations n’atteignent pas le sol – même si aucune culture ne se trouve en dessous. Avec son projet pilote, Heinz Schmid souhaite aussi apporter sa contribution afin de résoudre les conflits d’objectifs et de trouver de bonnes solutions. Des solutions qui englobent la protection du climat, la production des denrées alimentaires, la biodiversité et l’aménagement du territoire.

Le projet ne fait pas l’unanimité

Pourtant, le projet de Heinz Schmid n’a pas eu que des échos favorables. Les critiques émanant des milieux de la protection du paysage et de la nature ont pu être abordées lors de notre entretien : comme il est déjà courant de couvrir les cultures dans de tels systèmes de production, le paysage ne change pratiquement pas. « Les panneaux solaires représentent tout simplement une couverture d’un autre type », déclare Heinz Schmid. Il voit aussi des perspectives pour l’agri-photovoltaïque sur des champs de cultures spéciales, qui sont soit déjà équipés de filets, soit toujours cultivés sur les mêmes rangées. D’autres agriculteurs ont également émis des critiques. Pour eux, l’installation représenterait un gaspillage des subventions, une concurrence pour les installations solaires sur les étables et serait, de manière générale, un non-sens total.

Heinz Schmid comprend bien ces réflexions. Il est aussi d’avis qu’il faut équiper en premier lieu toutes les étables et tous les toits des bâtiments de panneaux solaires. « Si les toits des étables sont tous recouverts d’ici dix ans, nous devons savoir ce qui fonctionne, comment et où », estime Heinz Schmid. C’est pour cela que nous devons effectuer des recherches aujourd’hui.

Le raccordement au réseau électrique est un facteur décisif

Pour garantir le succès de l’agri-photovoltaïque à grande échelle, un aspect est décisif selon Heinz Schmid : le raccordement au réseau électrique. « Ce raccordement au réseau pourrait représenter un obstacle pour de nombreuses exploitations », considère Heinz Schmid. De nombreuses terres agricoles ne sont en effet pas raccordées au réseau électrique. Heinz Schmid a dû lui aussi tirer une ligne électrique de 90 mètres pour se raccorder au réseau, afin que le courant produit au-dessus des baies puisse être injecté dans le réseau électrique du gestionnaire de réseau. L’usine située à proximité a aussi fait part de son intérêt pour l’électricité de Heinz Schmid, mais la loi actuelle sur l’énergie ne lui permet pas de la lui vendre. « Cela va changer avec la nouvelle loi pour l’électricité », estime Heinz Schmid (voir encadré 2 loi pour l’électricité). Pour lui, il est évident qu’avec les défis tels que le changement climatique par exemple, l’agriculture doit collaborer avec d’autres secteurs. Non seulement au niveau des lignes électriques, mais des ressources en général.

Cet automne, les premiers résultats de la recherche dévoileront les effets de l’installation solaire sur les cultures de baies au niveau de la qualité, de l’exploitation et du sol. Heinz Schmid a toutefois déjà noté un avantage indéniable l’été dernier : des cueilleuses et cueilleurs heureux. Les températures plus fraîches sont en effet aussi plus agréables. « Ces quelques degrés de moins sous les panneaux valent de l’or durant la période de la cueillette au plus fort de l’été », déclare Heinz Schmid.


Texte encadré 1

Comparaison entre les trois systèmes agri-photovoltaïques

Sur la surface d’essai de 0,72 ha de Bioschmid, trois systèmes solaires différents sont comparés, directement à proximité de la zone de comparaison où les framboises sont cultivées de manière traditionnelle.

En raison de l’exploitation mécanique des champs, la structure de base est la même pour les trois systèmes, tout comme la distance de trois mètres entre les lignes. Le tableau suivant illustre les différences entre les systèmes.

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Texte encadré 2

Loi pour l’électricité (loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables)

Le 9 juin 2024, le peuple suisse se prononcera à propos d’une nouvelle loi sur l’énergie, la loi pour l’électricité. Le projet a pour objectif de promouvoir le développement des énergies renouvelables et de renforcer la sécurité du réseau et l’efficacité énergétique.

Dans l’exemple de Bioschmid, cela voudrait dire qu’en cas d’acceptation du projet, la ligne électrique cantonale pourrait aussi être utilisée à titre privé. Heinz Schmid pourrait ainsi se servir de cette ligne électrique pour vendre son électricité directement à l’usine située à proximité, sans devoir tirer une ligne supplémentaire. Cette loi concerne aussi les installations solaires sur les toits en zone agricole, car la production décentralisée d’électricité requiert des adaptations du système d’approvisionnement étant donné qu’ici aussi, davantage d’acteurs y participent. À l’heure actuelle, de nombreuses exploitations agricoles ne peuvent pas exploiter le potentiel de leurs toits en raison de la capacité limitée des lignes. En cas d’acceptation par le peuple, la loi pour l’électricité permettra d’améliorer ces conditions-cadres et de soutenir la constitution de communautés électriques locales. De plus, une prime de marché flottante – une protection contre les prix très bas du marché et un gel des subventions en cas de prix du marché très élevés – sera introduite en guise d’alternative aux rétributions uniques et aux contributions d’investissements déjà établies. Par ailleurs, la réinjection sera désormais rémunérée à un prix harmonisé sur le plan national, calculé sur la base de la moyenne trimestrielle des prix du marché au moment de l’injection. En outre, des rétributions minimales seront fixées pour les petites installations jusqu’à 150 kW.