À l’approche de Noël, un marketing émotionnel bien conçu ouvre la voie à la frénésie annuelle des achats. La planification du repas de Noël en famille ne saurait manquer à l’appel. Fondue chinoise, filet en croûte ou dinde farcie ? Saumon ou truite fumée en entrée ?
En cette fin d’année, Vision Agriculture souhaite à nouveau susciter la réflexion. Et nous nous tournons une fois de plus vers la consommation de viande. Le festin de Noël reflète parfaitement le lien étroit entre les habitudes alimentaires et notre culture ainsi que la manière dont elles se transmettent de génération en génération. Ici, les changements d’habitudes sont particulièrement difficiles, car le comportement alimentaire prend sa source dans des facteurs communautaires tels que les attentes, la bienséance et les obligations. Il est pourtant nécessaire de réduire la consommation individuelle de viande si l’on veut atteindre les objectifs climatiques. La présente newsletter aborde une fois de plus ce thème sous l’angle sociothéorique et montre l’importance de la consommation de viande au niveau communautaire.
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La viande, star des fêtes et source d’émotions subjectives
(VA) L’aliment viande joue un rôle significatif : selon la journaliste polonaise et canadienne Marta Zaraska, la viande est l’aliment des fêtes par excellence. Jouissant d’une estime particulière, elle est quasiment servie à chaque repas festif. Les exemples tels que le menu de Noël, le cervelas de la Fête nationale et les saucisses à rôtir de Saint-Gall à l’Olma illustrent le sens communautaire de la viande. En raison du lien étroit entre la consommation de viande et les festivités, la viande devient l’objet d’émotions subjectives pour les moments agréables et les sentiments d’appartenance qui y sont associés. Cela signifie donc que la viande possède d’autres caractéristiques que celle de nous nourrir. En tant qu’aliment des fêtes, la viande indique traditionnellement qu’à ces occasions au moins, on peut servir suffisamment de nourriture. Une formulation outrancière voudrait que le repas de Noël nous rassemble, et nous apporte joie et contentement.
Le lien culturel avec la viande
Le sociologue français Claude Fischler décrit la diversité de l’alimentation humaine : en raison de leur alimentation omnivore, les hommes sont particulièrement capables de s’adapter aux conditions de leur environnement. Cela a favorisé l’émergence de différents modes d’alimentation dans le monde entier. L’exemple de l’alimentation des Inuits vivant dans l’Arctique et se nourrissant principalement de viande d’animaux chassés et de leurs graisses, et celui de l’alimentation d’un petit paysan d’Asie du Sud-Est, qui ne contient pratiquement pas de protéines animales, illustrent bien cette grande diversité.
En plus des conditions géographiques, les modes d’alimentation sont étroitement liés à l’identité ethnique ; le mode d’alimentation est la dernière chose que les personnes migrantes abandonnent après une immigration. Les pizzerias, les restaurants asiatiques, les kebabs ou les restaurants éthiopiens illustrent bien le désir de conserver les habitudes alimentaires ancrées dans les différentes cultures.
En Suisse, l’élevage fait partie de l’identité ethnique suisse. C’est ainsi que l’exploitation des alpages et les expositions de bétail notamment marquent le patrimoine culturel de la Suisse. À l’origine, le bœuf était utilisé de plusieurs manières : comme animal de trait ou fournisseur de lait et de viande, mais également comme bien d’investissement pour les temps difficiles. L’attachement particulier à l’élevage et à l’agriculture en général est repris par la publicité des produits suisses d’origine animale.
Après la Deuxième Guerre mondiale, la consommation de viande a augmenté et l’aspect exceptionnel de sa consommation de viande s’est démocratisé pour devenir une évidence. Autrefois réservée au rituel du « rôti de Noël », la viande est désormais accessible partout et en tout temps. Les habitudes alimentaires ancrées culturellement en Suisse se sont ainsi modifiées au cours des cent dernières années. Les jeunes générations en particulier n’ont pas connu l’indisponibilité de la viande. Il reste à espérer que le comportement alimentaire puisse emprunter d’autres voies et que des habitudes alimentaires acceptables pour notre planète émergent en Suisse.
L’identité sociale et la norme de consommer de la viande
Pour mieux comprendre encore la signification communautaire de la consommation de viande, nous aimerions introduire la notion d’identité sociale. L’identité sociale fournit ici une explication théorique de la manière dont les individus tirent une connaissance de soi et un sens de leur appartenance à un groupe. L’identité sociale constitue ainsi la partie du concept de soi selon laquelle la personne se définit par son appartenance à un groupe ou s’en distingue par sa non-appartenance. L’alimentation peut aussi faire partie de l’identité sociale. Jonas Klaus, professeur émérite de psychologie sociale à l’Université de Zurich, écrit : «L’identité la plus saillante d’un individu parmi ses nombreuses identités à un moment donné dépendra du contexte social et de la mesure dans laquelle une personne valorise la conception qu’elle a d’elle-même. » (Jonas et al. 2014, S. 156).
Que se passe-t-il alors lorsque le contexte social requiert la consommation de viande ?
Revenons au rôti de Noël. Thomas planifie le repas de fête. Il se souvient du rôti de Noël de sa grand-mère qu’il savourait enfant avec un gratin de pommes de terre et des petits-pois-carottes et qu’il mijote désormais chaque année pour sa famille dans une cocotte en fonte avec du thym et du romarin (la viande comme aliment des fêtes). Il est clair que dans sa famille, on mange de la viande à Noël, et chaque année, il reçoit des compliments pour son repas (identité sociale, attentes). À la télévision, on lui rappelle sans cesse que « nous » en Suisse, nous mangeons de la viande à Noël (identité ethnique, bienséance). En même temps, Thomas aimerait apporter sa contribution en matière de changement climatique et n’approuve pas les méthodes d’élevage actuelles. Mais que dirait sa mère s’il servait un ragoût de lentilles cette année ?
Le rôti de Noël n’est qu’un exemple. D’autres situations de la vie quotidienne comme le kebab nocturne avec les potes, le menu végétarien « bizarre » à la cantine ou le « picorage » de graines de la collègue peuvent illustrer à quel point il est difficile de choisir quelque chose d’« autre » que ce qui est supposé être « normal ». C’est ainsi que la norme de la consommation de viande se transmet et est perçue comme un obstacle psychologique à manger moins de viande. Il se peut que cette norme soit aussi l’une des raisons pour laquelle les individus n’agissent pas selon leurs propres valeurs.
Literaturverzeichnis
Fischler, Claude (1988): Food, self and identity. In: Social Science Information, S. 275–292.
Jonas, Klaus; Stroebe, Wolfgang; Hewstone, Miles (2014): Sozialpsychologie. Berlin, Heidelberg: Springer Berlin Heidelberg.
Zaraska, Marta (2016): Meathooked. The history and science of our 2.5-million-year obsession with meat. New York: Basic Books a member of the Perseus Books Group. Online verfügbar unter http://www.meathookedthebook.com/