Dans la législation agricole, le bien-être des animaux est effectivement de loin le plus rigoureusement appliqué. Car les autorités le savent bien : en cas d’incident dans ce domaine, la vindicte populaire déferle. Qu’un cas comme Hefenhofen puisse arriver est donc surprenant et montre qu’on détourne encore les yeux même dans ce domaine si sensible et émotionnel.
Dans d’autres domaines pour lesquels la majorité de la population se sent moins concernée, le laisser-faire est devenu une pratique systématique dans le système agraire. Rien que dans le domaine de l’environnement, les infractions non sanctionnées ou même existantes cachées par les autorités ne sont plus d’actualité.
Exemple de l’ammoniaque
Prenons l’exemple des émissions d’ammoniaque dans le canton de Lucerne. Le cheptel y est particulièrement élevé en raison d’un „développement interne“ longtemps et activement soutenu par l’administration et d’énormes importations de fourrage. Ce développement est si intense que les valeurs limites d’émission d’ammoniaque, dites „critical loads“, sont dépassées de plusieurs fois et depuis des nombreuses années sur presque tout le territoire à cause de l’élevage animal. Cela est en contradiction autant avec les conventions internationales que le droit fédéral, car cela endommage durablement les écosystèmes les plus sensibles comme les forêts et les tourbières. Le Conseil d’Etat lucernois a reconnu la situation et constaté en 2007 que la rénovation et les nouvelles constructions d’étables les émissions doivent être réduites de 20% par rapport à l’état initial en 2000, une réglementation prise en exemple dans toute la Suisse.
Pourtant l’autorité d’exécution se soucie de cette décision comme d’une guigne. Des agrandissements et nouvelles constructions de poulaillers et de porcheries continuent de recevoir des autorisations. Pour les requêtes, ce ne sont pas les demandeurs mais le service cantonal qui calcule l’impact des émissions du projet. Toutes les astuces possibles sont utilisées. Le bilan des émissions est si bien arrangé que la réduction des émissions de 20% prescrite par le Conseil d’Etat est atteinte sur le papier. Même quand des exploitations doublent leur cheptel, le calcul cantonal arrive à présenter la réduction suspecte de 20%. Comme par magie, cela marche même sans les mesures actuellement disponibles – mais un peu moins attractives économiquement parlant – pour la purification de l’air évacué.
Tous ont détourné les yeux de ce bidouillage jusqu’à présent. Aucun journal n’en a encore fait état, et de nombreuses personnes impliquées en politique et des offices connaissent les astuces de la branche depuis des années. Pendant ce temps, l’effectif lucernois de bétail continue joyeusement d’augmenter. Ainsi l’énorme réduction officiellement souhaitée des émissions d’ammoniaque reste un vœu pieux des politiques et ne sera jamais atteinte.
Exemple de la protection des eaux
Un domaine dans lequel il y a des manquements graves est la protection des eaux. Pro Natura a constaté avec des études détaillées dans différents cantons de la Suisse orientale et de la Suisse romande que les bandes tampons de protection des cours d’eau ne sont pas respectées dans plus de la moitié des cas étudiés concernant l’utilisation d’engrais. L’enquête de Pro Natura a certes engendré quelques articles dans la presse, mais l’indignation s’est vite éteinte et le laisser-faire routinier a vite repris ses droits. Du côté des autorités, rien ne semble avoir été entrepris pour prendre le problème à bras le corps.
Prolifération incontrôlée des pesticides
Un exemple préoccupant de mise en œuvre pratiquement inexistante concerne l’utilisation de pesticides dans l’agriculture. Dans ses recherches pour le plan de réduction des pesticides, Vision Agriculture a fait faire des sondages pour connaître comment l’application des pesticides est contrôlée en Suisse et comment les directives légales sont mises en œuvre. Cela a révélé que des violations dans l’utilisation des pesticides sont à l’ordre du jour dans certaines régions concernant la législation sur l’environnement. Dans de nombreux cantons, l’observation de la distance aux cours d’eau ou aux routes n’est jamais contrôlée et en conséquence souvent pas respectée. Une infraction a même été signalée dans l’exploitation d’une école d’agriculture, le long de la route directement devant la fenêtre d’une salle de classe.
La situation dans les vignobles valaisans est particulièrement frappante. Dans le périmètre étudié, pas un seul cas n’a été rapporté dans lequel la distance aux routes, bosquets ou cours d’eau n’a été respectée lors des vols d’épandage par hélicoptère. La plupart du temps la zone tampon manquait complètement. Alors même que sur le terrain le marquage des lignes de vol était visible en permanence. Les distances minimales ont été systématiquement ignorées lors d’application d’herbicides au sol. Même la pulvérisation de cours d’eau avec des pesticides depuis un hélicoptère ou depuis le sol est monnaie courant en Valais. Aucune de ces infractions flagrantes à la législation, au vu et au su de tous, n’a été dénoncée ne serait-ce qu’une seule fois par des organisations locales de protection de l’environnement.
Vision Agriculture a immédiatement rendu les offices compétents de la Confédération et des cantons attentifs à ces violations graves consignées en détail (rapport sur demande). C’était déjà en 2013. Mais depuis, ni l’office valaisan de l’agriculture ni les offices fédéraux n’ont entrepris quoi que ce soit. Finalement, Kassensturz et Sonntagsblick ont fait écho au scandale valaisan sur les pesticides en juin dernier et ont couvert le cas de manière exhaustive. Le battage médiatique a enfin fait bouger les autorités. Mais le mal est déjà fait depuis longtemps. L’image du vin valaisan pourrait souffrir durablement de cette déficience institutionnelle.
Les autorités font partie intégrante du système
Ce n’est pas simplement par paresse ou indifférence que les autorités détournent volontairement les yeux. La force motrice est généralement une pression massive de la branche, qui travaille étroitement avec la presse agricole. Si un fonctionnaire ou un office enquête activement sur un manquement, réduit des paiements directs ou annule une autorisation, la personne en charge est contactée par téléphone ou convoquée à une rencontre pour être interrogée. Ou l’office concerné est menacé de réduction de budget par des interventions au parlement cantonal. Dans d’autres cas, les fonctionnaires sont publiquement traînés dans la boue par les médias agricoles. C’est aussi ce qui est arrivé au vétérinaire de Thurgovie quand il a voulu activement intervenir il y a quelques années dans un cas de protection des animaux.
La culture du laisser-faire, profondément ancrée dans le système agraire, est susceptible d’être une des plus grandes faiblesses de la politique agricole suisse. Dans de nombreux domaines, l’application de la législation agricole est quasiment inexistante, même s’il existe de grande différences d’un canton à l’autre.
Ce n’est qu’avec une culture de la transparence, du regard critique et du développement constructif, que l’agriculture peut préserver la grande confiance dont elle jouit encore aujourd’hui dans le public. Se forger une bonne réputation est un travail de longue haleine, et il suffit de quelques scandales pour la détruire. C’est pourquoi Vision Agriculture s’engage, malgré les vents contraires qui soufflent toujours violemment, pour une observation active et une application efficace et cohérente de la législation.