La démocratie suisse vit des temps agités. Il y a un peu plus d’une semaine, l’UDC à fait voter les citoyens et citoyennes suisses sur une initiative qui voulait décrire interminablement et dans les moindres détails comment réglementer des textes légaux et réglementaires dans la Constitution. En parallèle, l’Union suisse des paysans USP laisse le Parlement et ses commissions discuter sans fin sur une initiative qui laisse jusqu’à aujourd’hui perplexe sur ce qu’elle veut vraiment. La démocratie directe suisse n’avait encore jamais connu ces deux situations en 150 ans d’histoire.
Qu’est-ce qui se cache derrière ce mystère de l‘„initiative pour la sécurité alimentaire“ de l’USP et quelles seraient les conséquences pour la Suisse en cas d’acceptation ?
Le texte de l’initiative répète celui déjà existant de la Constitution La question devrait en fait être résolue à partir du texte de l’initiative. Mais dans le texte de l’initiative, il n’y a rien, absolument rien, qui ne soit déjà dans la Constitution – à l’exception peut-être d’un passage qui appelle à la réduction de la bureaucratie. Cette exigence est cependant déjà incontestée et l’administration a déjà fait bouger les choses avec son propre projet. Alors pourquoi l’USP utilise des millions provenant de ses membres et de l’agro-industrie qui la soutient, pour un texte qui veut seulement rallonger la Constitution avec des doublons ?
À chacun ce qu’il veut Jusqu’à présent, l’USP a obstinément refusé d’expliquer de manière cohérente ce qu’elle veut avec son initiative. Lors de la récolte de signature dans la rue aussi organisée qu’une armée de campagne, c’est le renforcement d’une production indigène et durable, avec des chemises paysannes aux edelweiss et des vaches avec des cornes, qui a été mise en avant. Qui ne voudrait pas soutenir une telle agriculture ? Ce n’est pas pour rien que les signatures ont été récoltées si rapidement. Exactement en même temps, le président de l’USP Markus Ritter remettait sa base sur les rails lors de l’assemblée des paysans : il a averti que l’écologisation de la politique agricole doit enfin cesser grâce à l’initiative pour faire un retour en arrière. Et avec la présence médiatique régulière du président de l’USP dans les médias, on fait croire aux consommateurs que l’initiative leur garantira aussi à l’avenir des denrées alimentaires saines et indigènes. Les organisations de protection de l’environnement doivent être attirées par la protection des terres agricoles. Cela n’a pas posé de problème à l’USP que Markus Ritter a également été actif dans un comité. Chacun reçoit de l’USP justement la réponse à ses questions, ou ce qu’il veut entendre.
L’USP championne de l’agriculture industrielle Aucune association ne lutte aussi énergiquement et avec autant d’argent contre tous les efforts visant à promouvoir le maintien de structures paysannes et une agriculture suisse durable. Aucune association ne compromet plus la protection des terres agricoles quand il s’agit d’assurer le profit provenant de la vente de terrain à bâtir en zone rurale ou de faire passer de grandes constructions agricoles sur les terres cultivables. Et maintenant cette association veut d’un coup s’engager pour une agriculture suisse durable et pour les terres agricoles avec sa propre initiative ?
La réponse à cette énigme relève d’une nouvelle combine de la démocratie de base. Les vraies préoccupations de l’USP n’ont jamais obtenu de majorité. Aucun citoyen, ou presque (et pas non plus les paysans !) ne souhaite une agriculture toujours plus intensive et qui produit de manière industrielle, fortement subventionnée, dépendante de l’État et isolée. Presque personne ne veut revenir à l’ancienne politique agricole avec ses paiements forfaitaires et ses mauvaises incitations qui coûtent des milliards. Puisqu’on ne trouve pas de majorité de telles demandes, les fins stratèges de l’USP ont concocté le texte insignifiant d’une initiative qui ne choque personne et qui laisse la porte ouverte au plus grand nombre possible d’interprétations.
Chat en sac jusqu’à l’acceptation Si l’initiative est acceptée, l’USP peut enfin tranquillement sortir du sac le chat qu’y était maintenu longtemps et soigneusement, et expliquer comment il faut comprendre l’initiative. Dès lors quelles que soient les décisions prises en politique agricole, l’USP se référera à la volonté du peuple et rappellera au Parlement et à l’administration que l’initiative de l’USP a bien été acceptée et que la politique agricole doit être mise en place selon la volonté de l’USP. On oubliera bien vite que personne ne savait à l’avance de que voulait l’initiative et donc que cela ne pouvait pas être la volonté du peuple.
Vote au Conseil national Il sera intéressant de voir demain le résultat au Conseil national. Le PS et le PVL ont été les premiers à jouer ce jeu. Les Verts sont encore indécis et espère un arrangement pour que l’USP soutienne leur initiative s’ils aident à faire passer celle-ci. Le groupe UDC, qui agit en politique de manière presque identique à l’USP, a déjà donné sa parole pour un oui. Finalement c’est le PLR qui pourrait faire pencher la balance, qui jusqu’à présent est resté plus ou moins ferme car il craint la poursuite de la fermeture des marché en cas d’acceptation.
Il reste aussi difficile de savoir dans quelle mesure les parlementaires des régions de montagne vont céder à la pression de l’USP. Car l’agriculture de montagne, qui a grandement profité de la réforme de la politique agricole, ferait certainement partie des perdants en cas d’acceptation de l’initiative.
Rejeter ce trucage de démocratie de base Après l’initiative d’application qui a tenté de renverser le système actuel de démocratie directe en voulant rédiger des lois et des ordonnances directement dans la Constitution, l’initiative pour la sécurité alimentaire est une nouvelle tentative d’abuser de la volonté du peuple en faveur de ses propres intérêts, avec le texte d’une initiative qui veut contenter tout le monde, et qui sera interprété par les auteurs seulement une fois l’initiative acceptée comme ils l’entendent. Il serait souhaitable que déjà le Parlement, et pas seulement le peuple, rejette cet abus de démocratie de base.
Quatre raisons de rejeter l’initiative pour la sécurité alimentaire :
- L’initiative crée de la confusion et de l’incertitude : le texte est extrêmement vague et n’apporte rien de nouveau dans la Constitution si ce n’est des doublons.
- L’initiative est une imposture : l’Union suisse des paysans a jusqu’à présent refusé d’expliquer clairement ce qu’elle veut avec cette initiative. Elle ne va interpréter le texte de son initiative qu’après son acceptation et ensuite mette la politique et l’administration sous pression selon son interprétation et en se référant à "la volonté du peuple".
- L’agriculture n’a pas besoin d’un débat sur la Constitution : les bases actuelles de la Constitution jouissent d’une grande acceptation pour le domaine de l’agriculture. Remettre cela en jeu avec une initiative et créer de l’incertitude est malsain et la dernière chose dont a besoin l’agriculture maintenant.
- L’initiative divise l’agriculture : de nombreuses organisations paysannes rejettent l’initiative, d’autres restent sceptiques. Un tel désaccord nuit à l’agriculture et demande une énergie dont on aurait besoin de toute urgence pour des discussions constructives sur l’avenir de l’agriculture.