(VA) Il y a deux ans, Vision Agriculture a chiffré les coûts (coûts complets) et les payeurs (consommateurs, contribuables, collectivité) des denrées alimentaires suisses. Il s’est avéré que l’équité du pollueur-payeur et la réalité des coûts sont loin d’être atteintes, même en comparaison avec d’autres domaines politiques.
Après de nouvelles températures record, la question de l’alimentation demeure actuelle. De plus en plus souvent, on entend que la clé de la solution aux problèmes environnementaux réside dans les styles d’alimentation. Récemment, le directeur de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) l’a également mentionné. Que fait la politique agricole dans cette optique ?
Nouvelle étude
Dans une nouvelle étude, Vision Agriculture a analysé la manière dont la politique soutient financièrement ou entrave différents styles de consommation – les encourage ou les décourage. À l’instar de l’étude de 2020, les contributions de la Confédération pour la production de denrées alimentaires et les coûts non couverts à la charge de la collectivité (coûts externes de l’impact de la production sur l’environnement) ont été pris en compte.
Les calculs ont été effectués par la société de conseil bâloise BSS sur mandat de Vision Agriculture et accompagnés par la Haute école spécialisée Kalaidos. Les données sont basées sur les chiffres de l’écobilan pour les aliments et les styles d’alimentation de la société ESU-Services et les estimations de coûts (actualisées) de l’étude « Coûts et financement de l’agriculture » de Vision Agriculture.
Nous avons comparé les coûts indirects de sept styles d’alimentation se distinguant par les quantités consommées de 34 groupes de produits différents (informations plus détaillées dans le tableau ci-après) :
- végane (aucun produit d’origine animale)
- ovo-lacto-végétarienne (aliments végétaux, œufs, miel, produits laitiers)
- ovo-lacto-pescétarienne (aliments végétaux, œufs, miel, produits laitiers, poisson)
- flexitariste (consommation raisonnable de viande, de produits laitiers, d’œufs)
- axée sur les protéines (forte consommation de viande, de produits laitiers et d’œufs)
- axée sur la viande (très forte consommation de viande)
- adaptée à l’environnement (basée sur la pyramide alimentaire suisse et les recommandations de FOODprints® pour manger et boire de manière durable)
Apports des contribuables et coûts environnementaux
Les contributions de la Confédération à la production des denrées alimentaires ont représenté environ 300 francs par personne en 2020. Il s’agit ici du soutien accordé aux denrées alimentaires consommées de manière générale. Mais si l’on distingue les styles d’alimentation, le tableau est différent. Environ 50 francs par personne et par an ont été consacrés aux aliments du style d’alimentation végane. En revanche, 500 francs ont été alloués à la production d’aliments des styles d’alimentation « axée sur les protéines » et « axée sur la viande » (illustration, zone jaune clair des barres).
Les coûts à charge de la collectivité (coûts externes) acceptés par les politiques et non imputés aux pollueurs s’élevaient en moyenne à 800 francs par personne en 2020. Dans ce cadre, les styles d’alimentation « adaptée à l’environnement » et « végane » affichaient les coûts externes les plus bas, à savoir 450 et 500 francs par personne, tandis que l’alimentation « axée sur les protéines » et celle « axée sur la viande » présentaient les coûts externes les plus élevés, soit 1050 francs chacun (illustration, zone jaune foncé).
Pour la viande, lorsqu’on fait la distinction entre une alimentation modeste (viande hachée, abats) et luxueuse (morceaux nobles), les chiffres divergent encore plus. Sans surprise, les styles d’alimentation les plus encouragés sont ceux qui mettent l’accent sur les morceaux nobles de viande, avec des contributions de l’ordre de 2500 francs par personne en 2020.
Des calculs plus approfondis montrent comment le revenu est indirectement redistribué en Suisse par le biais des subventions versées à la production des denrées alimentaires – à savoir le montant du solde redistribué pour les différents styles d’alimentation, de l’alimentation végane à celle axée sur la viande.
Soutien indirect de différents styles d’alimentation par des contributions de la Confédération et par la prise en charge de coûts externes par la collectivité (en francs) par personne en 2020.
Source : étude BSS (2022). Indirekte Kosten unterschiedlicher Ernährungsstile in der Schweiz. BSS, Bâle.
Aperçu du système global
Aujourd’hui, lorsqu’on évoque la politique agricole, on se réfère volontiers au système dans son ensemble. Les coûts environnementaux de l’agriculture deviennent ainsi le problème des consommatrices et des consommateurs. Cela ressort notamment d’une interview du Tagesanzeiger à Christan Hofer, directeur de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG).
Tagesanzeiger : Comment comptez-vous inciter l’agriculture à produire moins de fourrages et plus d’aliments végétaux pour les êtres humains ?
Le directeur de l’OFAG Christian Hofer : Le changement sera dicté par la demande – c’est la consommation qui doit changer en premier lieu. […] Si la production animale diminue en Suisse, nous importerons plus et exporterons les émissions.
Ce discours, nous l’entendons déjà chez les lobbyistes de l’industrie agroalimentaire. Il est largement trompeur. Les chiffres le montrent : les mesures de la Confédération entravent le développement des styles d’alimentation durables. Malgré toutes les belles paroles, la Confédération continue de faire en sorte que ceux et celles qui s’efforcent d’adopter une alimentation durable soient pénalisés financièrement.
Des styles d’alimentation plus ou moins favorisés
Dans ce cadre, la politique agit non seulement sur les prix, mais aussi de manière plus subtile, sur les plans psychologique et moral. Avec ses subventions pour la viande et les animaux et sa publicité pour « Viande Suisse », la Confédération encourage ouvertement une alimentation axée sur la viande : elle garantit des prix bas, une bonne conscience et une reconnaissance étatique teintée de patriotisme.
Ainsi, la déclaration : « Si la production animale diminue en Suisse, nous importerons simplement plus et exportons les émissions », est tout au plus une demi-vérité.
La publicité pour « Viande Suisse » en est la meilleure preuve. Cette publicité ne peut s’expliquer de manière rationnelle que si la « bonne conscience » encourage la consommation de viande dans son ensemble. Pourquoi peut-on dire cela ? Parce que la part de viande locale ou importée ne dépend pas du choix des consommatrices et consommateurs, mais de la consommation globale. Ce sont les contingents d’importation qui y veillent. Si l’on veut accroître la production de viande suisse, on doit accroître la consommation globale de viande. C’est exactement ce que fait la publicité avec bonne conscience. Elle vise une augmentation de la demande globale en viande – contrairement à ce que prétendent Proviande et le Conseil fédéral.
De plus, même si la consommation restait inchangée, les émissions ne seraient que partiellement exportées, ce pour deux raisons : premièrement, parce que la production en Suisse est déjà plus intensive et donc plus nocive pour l’environnement – notamment en ce qui concerne la pollution par l’azote – que dans de nombreux pays d’origine des importations. Deuxièmement, parce que la Suisse est beaucoup plus densément peuplée. Les coûts environnementaux de la production supplémentaire sont donc particulièrement élevés en Suisse. L’OFAG a également oublié que le taux d’auto-approvisionnement n’est pas une bonne indication de la sécurité de l’approvisionnement.
Responsabilité et marge de manœuvre
Pour terminer, une autre déclaration de Christian Hofer: « Nous examinons actuellement si la politique agricole actuelle fait encore l’objet d’incitations négatives. […] Mais comme déjà mentionné, l’évolution de la production dépend fortement de l’évolution du comportement des consommateurs. »
Il est bon et important d’avoir une vue d’ensemble du système global. Mais cela ne doit pas servir à minimiser la responsabilité et la marge de manœuvre dont on dispose soi-même. La responsabilité envers l’environnement et la marge de manœuvre sont particulièrement élevées dans la politique agricole.
Encadré
Les sept styles d’alimentation
Catégories de produits
|
Quantités (en kg par an et par personne)
|
Moyenne
|
Végane
|
Ovo-lacto-végétarienne
|
Ovo-lacto-pescariste
|
Flexitariste
|
Axée sur les protéines
|
Axée sur la viande
|
Adaptée à l’environnement
|
Lait
|
61,0
|
0,0
|
61,0
|
61,0
|
61,0
|
108,5
|
61,0
|
73,0
|
Beurre
|
5,6
|
0,0
|
5,6
|
5,6
|
5,6
|
5,6
|
5,6
|
1,0
|
Crème
|
9,3
|
0,0
|
9,3
|
9,3
|
9,3
|
16,6
|
9,3
|
1,0
|
Fromage
|
18,5
|
0,0
|
18,5
|
18,5
|
18,5
|
32,9
|
18,5
|
15,5
|
Autres produits laitiers
|
17,9
|
0,0
|
17,9
|
17,9
|
17,9
|
44,6
|
17,9
|
65,4
|
Viande de bœuf
|
11,1
|
0,0
|
0,0
|
0,0
|
3,7
|
18,3
|
24,4
|
4,0
|
Viande de porc
|
21,6
|
0,0
|
0,0
|
0,0
|
7,1
|
35,6
|
47,5
|
4,0
|
Volaille
|
10,6
|
0,0
|
0,0
|
0,0
|
3,5
|
17,5
|
23,3
|
5,3
|
Autres viandes
|
4,1
|
0,0
|
0,0
|
0,0
|
1,4
|
6,8
|
9,0
|
0,0
|
Œufs
|
12,9
|
0,0
|
16,1
|
15,6
|
10,5
|
29,9
|
17,9
|
7,8
|
Céréales
|
97,5
|
97,5
|
97,5
|
97,5
|
97,5
|
97,5
|
97,5
|
75,2
|
Pommes de terre
|
50,7
|
50,7
|
50,7
|
50,7
|
50,7
|
50,7
|
50,7
|
42,0
|
Graisse végétale, huile
|
17,7
|
20,9
|
17,7
|
17,7
|
17,7
|
17,7
|
17,7
|
9,1
|
Sucre
|
35,0
|
35,0
|
35,0
|
35,0
|
35,0
|
35,0
|
35,0
|
2,6
|
Légumes
|
117,6
|
220,6
|
147,0
|
147,0
|
132,3
|
58,8
|
58,8
|
131,4
|
Fruits
|
45,6
|
57,0
|
57,0
|
57,0
|
51,3
|
22,8
|
22,8
|
34,4
|
Autres aliments végétaux
|
16,1
|
145,1
|
34,3
|
35,4
|
25,2
|
12,5
|
5,1
|
25,2
|
Jus de pommes / cidre
|
7,2
|
7,2
|
7,2
|
7,2
|
7,2
|
7,2
|
7,2
|
20,9
|
Vin
|
30,6
|
30,6
|
30,6
|
30,6
|
30,6
|
30,6
|
30,6
|
7,8
|