Des systèmes économiques entiers sont actuellement bouleversés à une vitesse impressionnante. Le secteur financier, l'industrie automobile, l'industrie de l'énergie, tous sont au milieu d'un bouleversement fondamental qui est censé les sortir d'une dynamique autodestructrice alors qu'il est grand temps d'agir. Il n'y a que dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire où les forces qui continuent à donner le ton veulent à tout prix empêcher le changement. Avec une ténacité redoutable, elles continuent de présenter des solutions de façade comme des réponses durables pour les enjeux auxquels nous sommes confrontés. Mais en coulisses, un changement tout aussi fondamental vers un nouveau système agricole et alimentaire est en cours. Avec une série de newsletter, nous essayons rendre ces solutions plus visibles, de les placer dans un contexte plus large et de contribuer à leur donner la force nécessaire pour permettre de changer le système.
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(VA) Dans le forum de discussion d'une conférence internationale sur l'avenir de l'utilisation des pesticides dans l'agriculture, une historienne de la science qui fait des recherches sur l'histoire de l'agriculture en Allemagne a déclaré : "Je suis étonnée de constater que dans l'agriculture, on débat encore exactement des mêmes questions et problèmes qu'il y a 30 ans". On peut faire exactement le même constat concernant l'agriculture suisse. Pesticides, biodiversité, surplus de fertilisants, baisse de la fertilité des sols, émissions de gaz climatiques, efficacité énergétique négative, pollution de l'eau, etc. Tous ces chantiers existentiels datent de plusieurs décennies, sans qu'aucun progrès significatif n'ait été réalisé, voir le contraire. L'agriculture conventionnelle détruit ses propres moyens de subsistance à un rythme effréné, et ce avec l'aide de milliards de subventions financées par l'État.
De nombreux secteurs de l'économie ont reconnu - ou ont été contraints par la politique - de reconnaître le besoin urgent d'agir. Ils subissent une transformation aussi profonde qu'incroyablement rapide. L'industrie automobile investit des milliards dans le remplacement du moteur à combustion qui, il y a encore quelques années, dominait le trafic routier depuis un siècle environ, sans aucune alternative apparente. Tout aussi fondamental est le changement dans le secteur de l'énergie, où des groupes entiers de consommateurs disparaissent en grande partie en raison des gains d'efficacité et où le soleil/le vent deviennent soudainement moins chers que les "anciennes" sources d'énergie néfastes pour l'environnement et le climat, qui semblaient absolument indispensables il y a peu de temps encore.
Agriculture : des fausses solutions qui continuent d'être vendues comme une réponse durable
Le contraste avec l'agriculture ne pourrait pas être plus flagrant. Au lieu de s'attaquer à la source du problème et de remplacer le "moteur à combustion", pour ainsi dire, d'énormes investissements sont encore réalisés dans la recherche pour rendre ce même "moteur" plus efficace et productif. Les tracteurs deviennent un peu plus puissants chaque année afin qu'ils puissent continuer à tirer leur équipement lourd sur des sols de plus en plus compacts. De plus en plus de technologies se retrouvent dans ce qui est déjà une activité agricole largement industrialisée, ce qui rend leur dépendance vis-à-vis de l'industrie encore plus grande. Même dans les derniers recoins des vallées alpines, les souffleurs de feuilles vrombissants remplacent désormais les râteaux à main, les hélicoptères le transport du foin par de petits téléphériques et les robots les modestes machines à traire. Grâce à une technologie robotisée, les pesticides doivent être utilisés "de manière encore plus ciblée" et "leur risque doit être encore plus réduit". Ce slogan de l'agrochimie, vieux de plusieurs décennies, a même trouvé sa place dans le "Plan d'action Produits phytosanitaires" du gouvernement fédéral et continue de façonner chaque débat parlementaire sur la " solution " au problème des pesticides.
Les problèmes ne diminueront pas si nous essayons de les résoudre avec les mêmes moyens que ceux qui les ont causés. Les coûts de ces solutions sont en constante augmentation et les revenus de la production diminuent en conséquence. La facture est payée par les agriculteurs qui se laissent prendre dans la logique implacable du "progrès". De nombreuses exploitations agricoles se sont endettées. La dette agricole n'est nulle part aussi élevée qu'en Suisse. L'État entre dans la brèche et maintient le système en vie avec des paiements se chiffrant en milliards, alors que les déficits environnementaux et les dettes continuent de s'accroître.
Contraste avec la transformation énergétique
Derrière cette évolution grotesque de l'agriculture se cache un récit qui est encore aujourd'hui profondément ancré dans les esprits et que l'industrie agroalimentaire continue de cultiver à grands frais. Après tout, elle y gagne énormément d'argent. Dans un petit pays comme la Suisse, elle extrait plus d'une demi-douzaine de milliards de francs par an des exploitations agricoles.
Le secteur de l'énergie montre pourtant comment d'autres industries ont réussi à surmonter l'ancien paradigme de la croissance. Imaginez que les fournisseurs d'énergie avertissent à chaque occasion que l'humanité devra disposer de beaucoup plus d'énergie à l'avenir parce qu'elle continuera à se développer rapidement et que ses besoins énergétiques augmenteront donc fortement. Par conséquent, il faudrait extraire davantage de pétrole, produire davantage d'énergie nucléaire et utiliser même les dernières réserves d'énergie hydroélectrique - bien sûr, tout devrait être fait avec le plus grand soin, avec la technologie la plus moderne et de manière durable. Et bien sûr avec l'ajout des énergies renouvelables, qui ne pouvaient malheureusement rester qu'une niche au vu de la demande. Une telle façon de penser – une norme incontestée il y a encore quelques années - ne serait guère osée par un homme politique qui souhaite être pris au sérieux aujourd'hui.
Les vieux schémas de pensée bloquent le changement
Il est depuis longtemps reconnu que nous n'avons pas besoin de sources d'énergie supplémentaires malgré la croissance rapide de la population en Suisse. Au contraire, le potentiel des économies d'énergie est bien plus important que l'augmentation de la population, et nous devons satisfaire le plus rapidement possible la demande restante à partir de ressources durables qui sont à notre portée et qui fonctionnent de manière totalement différente de l'ancien système d'approvisionnement énergétique. Ce changement de paradigme est devenu une réalité depuis longtemps. Il suffit de penser au secteur de l'éclairage, où aujourd'hui 80 % de l'énergie électrique auparavant nécessaire peut être économisée grâce au remplacement des ampoules à incandescence par la technologie LED, avec le même niveau de confort et une demande d’éclairage plus élevée. Pensons aussi au secteur du bâtiment, où les bâtiments modernes d'aujourd'hui non seulement consomment beaucoup moins d'énergie, mais produisent même de l'énergie si toutes les possibilités sont exploitées. Cela a bouleversé les idées reçues et a fait place à une nouvelle réalité.
Un récit encore profondément ancré dans de vieux concepts
Dans le secteur agricole et alimentaire, en revanche, les représentants de l'agriculture continuent de propager le même récit à chaque occasion qui se présente: L'humanité est en pleine croissance, nous avons donc un besoin urgent de plus de nourriture. Les multinationales agroalimentaires et les politiciens qui donnent le ton continuent de propager ce conte de fées dépassé depuis longtemps sur la demande mondiale croissante de nourriture dans les débats politiques, les médias, dans d'innombrables projets de recherche scientifique et même dans les salles de classe. Selon eux, l'humanité serait obligée d'exploiter encore plus de surface et d'animaux sur les terres disponibles - c'est pourquoi elle a besoin de technologies encore plus nombreuses et encore meilleures, d'additifs, de robots, de drones...
D'énormes ressources privées et gouvernementales sont encore gaspillées pour continuer à cultiver selon cette idée dépassée. Pour le développement du secteur agroalimentaire, le refus de repenser le système de production a un effet désastreux. Des dizaines de millions d'argent public sont utilisés pour financer des projets de recherche qui sont ancrés dans les anciens réseaux et paradigmes, souvent liés à l'industrie et aux profiteurs de l'ancien système. Ils n'ont aucun intérêt à provoquer ce changement, qui est pourtant inévitable.
Le changement de système nécessite une diversification des solutions
Cela est d'autant plus fatal que, tout comme dans le secteur de l'énergie, les connaissances sur la manière dont un changement de système pourrait réussir sont en fait largement disponibles depuis longtemps. Tout comme le changement de système dans le secteur de l'énergie n'est pas simplement des panneaux solaires, le changement de système dans l'agriculture n'est pas simplement biologique. Le bio est un label, un bon label. Mais aucun changement de système n'est accompli par une seule marque, un seul concept. L'industrie solaire a été extrêmement importante pour la transformation du système énergétique, Tesla a été extrêmement important pour la transformation de l'industrie automobile - mais l'avenir de l'approvisionnement en énergie n'est pas simplement solaire et l'avenir de l'automobile n'est pas simplement Tesla, et l'avenir de l'agriculture n'est pas que biologique. Ce qu'il faut, c'est une variété de solutions qui, prises dans leur ensemble, rendent possible le changement de système et qui apportent leur contribution respective.
Dans ce contexte, il est important de souligner en toute clarté que le bio a énormément contribué au changement de système émergent. Le bio est plus ou moins le Tesla de l'agriculture. Toutefois, de nombreuses autres approches, dont certaines vont bien au-delà des exigences biologiques et apportent des améliorations fondamentales supplémentaires grâce à une approche de réflexion hors des sentiers battus, demeurent pour l'instant largement ignorées. Derrière cela se cache souvent un système. Les grands distributeurs et même les labels de durabilité établis n'ont aucun intérêt à laisser émerger la concurrence. Ils se sont confortablement installés dans le système actuel. Toutes les nouvelles approches sont généralement catégorisées dans les médias agricoles avec l'affirmation habituelle : "c'est une niche intéressante, mais elle ne convient pas pour nourrir la grande majorité". Contre l'émission de SRF "Netz Natur", qui a présenté il y a quelques semaines un excellent documentaire (en allemand) sur les méthodes agricoles d'avenir, les milieux agricoles conventionnels veulent même engager une poursuite judiciaire, par l'intermédiaire de l'Union suisse des paysans. Voilà où nous en sommes arrivés dans le domaine de l'agriculture : quiconque pense à l'avenir est immédiatement freiné, ridiculisé ou même poursuivi par le principal lobby agroalimentaire.
Mais ce n'est pas si inhabituel. C'est exactement comme cela qu'à l'époque, les premiers pionniers de l'électricité dans l'industrie automobile ont été ridiculisés, méprisés et contrecarrés. Aujourd'hui, ils donnent le ton. Leurs investissements, aidés par des politiques publiques cohérentes, les ont fait sortir de la niche dans laquelle ils étaient et ont rendu possible le changement de système.
Rendre les solutions visibles !
Nous aimerions soutenir et promouvoir les pionniers souvent encore invisibles grâce à notre travail. Il s'agit parfois d'approches étonnamment simples et extrêmement efficaces, tant sur le plan économique qu'écologique, mais qui présentent un potentiel énorme précisément parce qu'elles sortent des sentiers battus. Dans une série d'articles, nous présenterons ces "solutions de niche", souvent peu spectaculaires en apparence, qui rendront finalement possible un changement de système, démontrant ainsi la variété des solutions déjà disponibles et la façon dont elles peuvent fonctionner ensemble pour permettre une véritable transformation du système de production agricole. Nous n'avons pas le choix. Et tout est (presque) prêt. Faisons le maintenant !
Vos quatre contributions personnelles qui feront la différence pour l'agriculture de l'avenir: