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VISION AGRICULTURE / NEWSLETTER 1.9. 2013

Pesticides: des agriculteurs réagissent contre les dommages à leur santé

L'agriculture est fière de ses rendements de plus en plus hauts et de son rôle primordial dans l'approvisionnement de la population. A cette fin elle utilise volontiers, ou par obligation, des produits phytosanitaires. Mais à quel prix? Après de nombreux cas de maladies et de décès professionnels liés aux pesticides, une opposition paysanne s'est mise en place en France contre l'utilisation intensive des pesticides.

La France est le 1er consommateur de pesticides au niveau européen. Pour la plupart des exploitants, les pesticides sont un important facteur de production et représentent en même temps une sorte d'assurance contre les risques météorologiques. Dans certaines régions de France, pour limiter les épidémies de ravageurs, les viticulteurs ont même l'obligation d'effectuer des traitements phytosanitaires, sous peine d'amendes.
Du côté de l'industrie, les pesticides représentent un commerce lucratif de 44 milliards de dollars au niveau mondial en 2011, avec une tendance à la hausse. Voilà pourquoi il n'est pas étonnant que les fabricants de pesticides mettent tout en œuvre pour dissimuler le revers de la médaille – la mise en danger de l'environnement et de la santé même avec un emploi correct de leurs produits. Celui qui s'essaie à réagir là-contre, se retrouve dans une situation très difficile. Mais le vent pourrait tourner.

Des cas qui pourraient faire jurisprudence
Les maladies d'agriculteurs qui ont employé normalement des pesticides répandus et non pas suite à des accidents, ont fini par déclencher des batailles juridiques. Depuis des années, des groupes d'agriculteurs, victimes de produits phytosanitaires, se battent pour faire reconnaître leurs pathologies et informer des risques liés à l'usage de ces produits. Ils se sont informés puis ont commencé à alerter victimes, médias, autorités. Des médecins convaincus du lien entre des pathologies et des pesticides sont aussi montés au créneau.

En 2005, un tribunal a reconnu pour la première fois le lien de causalité entre l'activité d'un salarié agricole et sa maladie de Parkinson. Quelques semaines après le verdict, un avertissement supplémentaire a été lancé par le fabricant du produit incriminé. Il stipulait que tout patron d'entreprise agricole se devait de mettre des masques homologués à disposition de ses employés. Depuis, 6 autres agriculteurs ont obtenu la reconnaissance en maladie professionnelle pour lymphomes, infertilité, maladie de Parkinson, et d'autres sont en attente de jugement.
En 2012, un fabricant de pesticides a pour la première fois été jugé coupable de l'empoisonnement d'un agriculteur par son produit, ouvrant la voie à des dommages et intérêts. Puis c'est l'Etat français qui a été condamné par la justice pour manquement à une obligation de sécurité ainsi qu'une faute d'imprudence. C'est la première fois que l'Etat devra indemniser un agriculteur ayant développé un cancer suite à son exposition à des pesticides. Légalement, l'Etat pourrait par la suite se retourner contre les fabricants par le biais d'une action récursoire.

Effets chroniques de pesticides
Outre les intoxications aiguës et les accidents, il y a des maladies chroniques qui peuvent apparaître même des années après l'utilisation de ces traitements. L'épidémiologie montre que les personnes exposées aux pesticides ont plus de risque de développer des maladies comme des cancers (hématologiques, prostate, dermatologique, estomac, cerveau, sarcomes des tissus mous), des maladies neurologiques, des pathologies respiratoires, dermatologiques, immunitaires et de la reproduction, une altération des fonctions cognitives… L'Agence nationale sanitaire et scientifique en cancérologie estime qu'entre 1 et 2 millions de personnes en France sont concernées par des pathologies chroniques dans le cadre des expositions professionnelles aux pesticides.

Ces faits ne représentent sûrement qu'une petite pointe de l'iceberg. Car le lien de cause à effet entre pesticides et risques ou apparition de maladies est difficile à prouver compte tenu des nombreux produits utilisés et de leur évolution en fonction de divers facteurs. Cela empêche souvent d'apporter des conclusions précises (voir aussi encadré).

Problème de santé publique
Les troubles de la santé, par suite de l'utilisation réglementaire de pesticides, sont déjà bien reconnus dans les communautés scientifiques, mais paradoxalement semble-t-il peu connu de la population générale et des utilisateurs eux-mêmes – les agriculteurs. Face aux sonnettes d'alarme tirées par différents organismes, les grandes firmes agro-chimiques soulignent toujours qu'avec les précautions d'usage et le respect des consignes, leurs pesticides ne sont pas dangereux pour l'utilisateur. Au vu des cas largement discutés en France, la minimisation est flagrante. Même en suivant les prescriptions, les cas d'atteintes à la santé graves et irréversibles se multiplient.

Les mentalités ne changent pas qu'en France au sujet du très haut coût de l'emploi massif de pesticides sur la santé. En Allemagne, la maladie de Parkinson a été reconnue comme maladie professionnelle pour 2 agriculteurs et des discussions ont lieu dans d'autres pays européens. L'Union européenne a reconnu que la consommation actuelle de pesticides, en particulier dans l'agriculture, est liée à des dangers qui ne sont plus supportables. Tous les membres de l'UE ont eu l'obligation de rédiger jusqu'à fin 2012 un plan d'action national visant une réduction du risque et de l'utilisation des pesticides (directive 2009/128/CE). Le Danemark a déjà de l'expérience. Il a réduit de plus de 50% les quantités vendues de pesticides à usage agricole entre 1986 et 2001 et continue de prendre de nouvelles mesures. L'Allemagne a adopté son plan d'action national en 2013, visant par exemple 20% de surfaces agricoles exploitées selon les normes bio. La France a commencé à prendre des mesures depuis 2007. Dans son plan Ecophyto, elle s'engage entre autre au retrait du marché (déjà commencé) de préparations contenant les 53 substances actives les plus préoccupantes, et si possible la réduction de 50% des quantités de pesticides utilisés d'ici 2018.

La Suisse agit seulement sous la pression
En Suisse, on suit après coup les développements et mesures préventives de l'UE. Malgré les nombreuses évidences et les revendications des organisations de protection de l'environnement et des abeilles, l'Office Fédéral de l'agriculture a longtemps refusé une restriction des néonicotinoïdes fatals aux abeilles. Ce n'est que quand l'UE a franchi ce cap que la Confédération a suivi à contrecœur. La situation semble se répéter concernant un plan d'action national. Ce n'est qu'en 2012, suite au postulat de la conseillère nationale Moser "Plan d'action pour réduire les risques et favoriser une utilisation durable des produits phytosanitaires", que le Conseil fédéral a reconnu qu'un tel plan permettrait de clarifier la politique dans ce domaine et de proposer éventuellement des mesures complémentaires. Les travaux pour répondre à cette demande sont en cours.

Quant aux conséquences sur la santé de l'utilisation des pesticides, ce thème est resté jusqu'à présent tabou. La conseillère nationale John-Calame a évoqué le sujet dans une interpellation mais n'a reçu qu'une réponse frileuse du Conseil fédéral.

D'élève à la traîne à premier de la classe
Vision Landwirtschaft s'est toujours occupé et préoccupé du thème des pesticides par le passé. L'association va encore s'engager fortement sur ces questions ces prochaines années. Notre but est de réformer, aussi dans ce domaine, l'agriculture et la politique agricole suisse, pour passer de mauvais élève qui repousse les problèmes autant que possible, à premier de la classe au niveau international. Quand figure l'appellation Suisse, la qualité suisse doit aussi être présente. Ce n'est pas seulement bon pour l'environnement et la santé, mais aussi indispensable pour que la stratégie qualité de l'agriculture suisse devienne crédible et soit économiquement un succès.

Liens à consulter:

Site web de l'Association Génération futures, riche en information et actualités

Témoignages de professionnels victimes de pesticides, reconnus ou en cours de reconnaissance en maladie professionnel

Numéro spécial du magazine Science du 16.08.2013 Smarter Pest Control

Alternatives aux produits phytosanitaires de synthèse:
>> Explications de BioSuisse

>> Ecophyto R&D : quelles voies pour réduire l'usage des pesticides? Rapport de l'INRA

>> Lire "Culture et ravageurs : le défi d'une Afrique qui veut se passer de pesticides"

>> L'agroécologie comme mode de développement agricole pour réaliser le droit à l'alimentation: lire le rapport du rapporteur de la FAO

>> Plans d'action nationaux pour la réduction des risques liés à l'utilisation des pesticides dans l'UE