Au cours de ces dernières années, des études ont souvent montré qu’une réduction des coûts de production pouvait sensiblement améliorer les revenus des exploitations laitières. Un énorme potentiel se trouve dans la réduction de l’utilisation d’aliments concentrés, combinée à un retour à la pâture plutôt qu’à la détention en stabulation. Le fait que la pâture soit moins chère que la détention en stabulation est une évidence. Le calcul détaillé des coûts totaux, comme proposé dans la comparaison des systèmes de production laitière « Hohenrain » à Lucerne, montre quels sont les facteurs qui y contribuent. La pâture n’exige pas d’onéreuses récoltes de fourrages ni leur conservation qui sont le plus souvent réalisés par des entreprises sous-traitantes (12 ct/kg de lait). Cela permet de réduire le coût de la mécanisation de 4 ct/kg de lait ainsi que celui de la main-d’œuvre pour le nourrissage. Ceux qui renoncent largement, voire complètement, aux aliments concentrés diminuent encore plus leurs coûts (7 à 10ct/kg de lait). Cependant, se dispenser d’aliments concentrés n’est possible que si la génétique du bétail et la gestion des herbages sont choisis avec soin.
Selon les experts, en raison des conditions de production, une exploitation basée principalement sur la pâture est réalisable pou un peu plus d’un quart du cheptel laitier suisse. La majorité des exploitations laitières de Suisse continue néanmoins à suivre la stratégie de haut rendement avec l’emploi significatif d’aliments concentrés. Dans la nouvelle Fiche Info, Vision Agriculture a examiné en détail les possibilités d’amélioration de revenu ainsi que les principaux effets sur l’environnement qu’il serait possible de réaliser en convertissant la détention du bétail principalement à la pâture, ainsi qu’en renonçant à l’utilisation de concentrés. Les calculs se basent sur des études empiriques comparant entre elles différentes stratégies de production.
Plus de 1000 francs de revenus supplémentaires par vache et par annéeLe revenu de la production laitière s’accroîtrait de plus de 160 millions de francs par an selon les calculs basés sur le prix actuel du lait. Soit 24‘000 francs pour une exploitation moyenne de 22 vaches. Les répercussions positives prévisibles de la baisse de production sur le prix du lait ne sont pas encore prises en compte, de même que les autres réductions des coûts rendues possibles par ce changement. Ces perspectives économiques séduisantes s’accompagnent d’avantages écologiques importants et d’une amélioration du bien-être animal. Problématiques sur le plan écologique et éthique, les importations d’aliments concentrés pourraient diminuer de 120 000 tonnes par an, soit plus de 10% du total importé. En même temps, l’excédent d’azote issu de l’agriculture suisse, parmi les plus élevés au monde, pourrait être réduit de 2500 tonnes par an, soit environ 10% du déficit actuel par rapport à l’objectif environnemental de la Confédération. La diminution de 316 000 tonnes de la production laitière (8%) apporterait une contribution notable au désengorgement du marché laitier.
Mauvaises incitations de la politique agricoleSi la pâture intégrale et d’autres potentiels d’optimisation non analysés ici n’ont pas été exploités dans la production laitière suisse, cela réside en grande partie dans les incitations de la politique agricole. Cette dernière favorise la détention en stabulation et l’utilisation d’aliments concentrés via plusieurs contributions. Par exemple, les aides financières ne sont souvent accordées qu’aux étables surdimensionnées, pour lesquelles la surface fourragère s’avère insuffisante. Il en résulte que les achats de fourrage sont indispensables. Encore plus problématique sont les subventions dépendantes des quantités produites. Avec la prime de transformation du lait en formage ainsi que le soutien à l’exportation, la Confédération paie pour chaque kilo de lait supplémentaire 10 centimes, ce qui avive encore plus la surproduction. Une partie des paiements directs – environ 15 centimes par kilo de lait – favorise aussi, directement ou indirectement, la détention en stabulation plutôt que la pâture. Pour rappel, il y a aussi des contributions pour les cultures de maïs et de céréales fourragères. Des changements importants auraient pu apparaître avec la contribution pour la production de lait et de viande basée sur les herbages (PLVH). Toutefois celle-ci a été tellement dénaturée qu’elle n’a pas contribué à la solution mais a plutôt renforcé l’évolution inadéquate.
Beaucoup veulent tirer profit des producteurs laitiersUn élevage principalement axé sur la pâture amoindrit les intérêts de toute une filière en amont. Tout type de production agricole qui réduit ses coûts, réduit le chiffre d’affaire des sous-traitants. Les médias agricoles sont plein d’articles et d’annonces où la production à haut rendement est implicitement vantée comme la voie du futur. Et dans les formations et les conseils professionnels, la production à haut rendement a également toujours cours. Les exploitants qui ont avec succès choisi une autre voie restent, jusqu’à aujourd’hui, des marginaux qui ne sont pas pris au sérieux dans les médias agricoles, ni par les organisations ou les centres de formation.
Il est néanmoins compréhensible que les producteurs de lait se sentent impuissant face à la baisse du prix du lait. Beaucoup cependant ont la possibilité de faire la transition vers une production aux coûts moindres ce qui a pour conséquence des gains plus élevés au final.
Ne pas espérer une meilleure politique agricoleLes producteurs de lait suisses subissent une crise profonde à la suite de la chute du prix du lait. Celle-ci a visiblement aussi été alimentée par les prix à la baisse observés dans l’Union européenne et par les filières de transformation qui maintiennent leurs marges au détriment des producteurs de lait. Mais la baisse du prix du lait a comme origine principale la surproduction, dont la politique agricole porte aussi une part significative de responsabilité. Une politique qui, au travers de plusieurs incitations, promeut une production de masse est économiquement et écologiquement absurde, et justifie au plus les besoins des filières en amont et celles de transformation.
Le fait qu’une constellation politique apparaisse au Parlement et initie une sortie des incitations inopportunes, est assez peu probable. Afin de mettre en valeur leurs propres ressources et les forces des herbages suisses, les producteurs de lait n’ont heureusement pas besoin de la politique pour mettre en place une production basée sur la pâture et dont les coûts sont plus faibles. Cette stratégie indépendante de la politique et du marché donne accès à de meilleurs revenus, et les effets secondaires positifs qui l’accompagnent permettent une meilleure balance dans les domaines écologiques et éthiques. De plus, le lait produit à base d’herbages est de qualité supérieure et plus sain que celui produit avec des aliments concentrés, grâce à un assemblage différent d’acides gras. Cet argument pourrait être valorisé dans le futur.
Avec l’élaboration de solutions orientées vers la pratique, comme par exemple le travail réalisé dans cette Fiche Info n°7, et en discutant avec des représentants de la branche, Vision Agriculture veut contribuer à trouver une solution à cette crise du lait. Cette crise est aussi une chance pour les producteurs de lait pour prendre conscience de leurs propre possibilités d’action et d’ainsi développer leur potentiel ou de le renforcer. Les herbages suisses permettent une production laitière respectueuse du bien-être animal, naturelle et saine et qui plus est, sans pareille ailleurs dans le monde. Des qualités basée sur ces valeurs sont à construire et devraient être une clé importante d’un avenir attractif de la production laitière suisse.
>>Vers l'étude de Vision Agriculture (Fiche Info n°7)