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VISION AGRICULTURE / NEWSLETTER 29.3. 2018

Production maraîchère sans pesticides: pratiques agricoles justes et bon sens

René Sgier, exploitant de «Hansjürg Imhof Bioprodukte» à Schwerzenbach (ZH), réfléchit de manière pratique. Il cultive des légumes sur 70 hectares, sans pesticides. Il gère la plus grande exploitation maraîchère de Suisse selon les directives Demeter. Il n’a aucune baguette magique. Mais il observe, réfléchit, soupèse et prend des décisions économiquement intelligentes. Il explique sans idéologie, mais avec beaucoup d’expertise, ce qu’il entend par de bonnes pratiques culturales: sélectionner quelques variétés, choisir des sites appropriés et favoriser les auxiliaires. Il prend soin du sol pour préserver autant que possible sa structure et bien laisser prospérer les organismes qui y vivent. Il crée ainsi dès le départ un bon climat pour des plantes saines.

(VL): Monsieur Sgier, la philosophie de l’entreprise d’Imhofbio AG est décrite par des phrases qui décrivent très bien la motivation de notre projet «agriculture suisse sans pesticides»: «L’utilisation importante des pesticides, et les dangers qui y sont liés pour la santé humaine, les résidus de pesticides dans les produits et le sol, le développement de résistances de nombreux organismes ravageurs contre des produits phytosanitaires, mais aussi la situation du marché avec une surproduction, nous ont poussés à repenser …..». Pouvez-vous souscrire à l’idée d’une production libre de pesticides?
(René Sgier): En 2017, nous avons converti toutes les cultures maraîchères de Bio à Demeter. Ce n’est pas la réflexion sur l’utilisation des pesticides qui a alors été décisive, mais les concepts de base généraux de Demeter, de la protection et de la fertilité du sol. Déjà auparavant, nous n’avions pulvérisé pratiquement dans aucune culture. J’ai donc à peine été touché par les restrictions plus strictes de Demeter par rapport au Bio: on n’a plus le droit d’utiliser du cuivre pour Demeter, mais je ne produis pas de fruits ou de pommes-de-terre, des cultures dans lesquelles le cuivre est encore permis selon les directives du bourgeon.

Est-ce que cela a toujours été votre philosophie de vous passer de pesticides?
Jusqu’à présent, les pesticides n’ont presque jamais été nécessaires! Les pesticides sont des mesures d’urgence, par exemple quand des choux sont infestés de pucerons. La pulvérisation a été utilisée trois à quatre fois l’an dernier pour des cas d’urgence. Et j’ai alors aspergé une préparation autorisée avec Bacillus thuringiensis (Bt) [1] . C’est une bactérie du sol qui produit une protéine dont la toxicité est très spécifique envers les larves de noctuelle du chou. C’est ainsi que le ravageur est contenu.

Quelles cultures produisez-vous?
Salades, fenouil, chou blanc, brocoli, choux-raves, tomates, courgettes, fleurs coupées et courges. Je les commercialise avec le label Demeter auprès de gros distributeurs, de détaillants Bio et dans le magasin à la ferme.

Quelles sont les mesures que vous prenez pour ne pas avoir à pulvériser?
Le choix des variétés est déjà très important pour les salades. Le marché exige des salades grandes, fortes et saines. Et la résistance aux pucerons est l’un des principaux buts d’élevage. Ainsi, de nouvelles variétés, résistantes grâce à la sélection naturelle, sortent toutes les quelques années. Ce sont les variétés modernes Lollo-, Batavia et de laitues. C’est la même chose pour le fenouil, qui est de toute façon peu sensible. Nous ne les avons jamais pulvérisés.

De quoi a-t-on encore besoin pour produire sans pesticides?
La situation, la direction du vent, le sol doivent être adaptés à la culture. Par exemple sur les sites exposés au vent, où la mouche de la carotte ne pose pas de problème, la culture de la carotte marche très bien sans insecticide, comme j’ai pu le prouver dans mon travail de diplôme.  

Quels sont les points sensibles?
Nous avons compris qu’on cultive mieux les carottes sur des sols sableux sur des sites exposés au vent. En général, une bonne pratique professionnelle - choix des variétés, rotation des cultures - et le bon sens sont nécessaires. Par exemple, si mes voisins ont fait une couverture végétale d’hiver avec du colza, je ne vais pas mettre mon brocoli à côté. Sinon j’aurais plus de problèmes avec le méligèthe du colza.

Comment déterminez-vous quand une intervention d’urgence est nécessaire?
Pour la lutte contre la piéride du chou, j’observe le vol. Quand le champ est blanc de papillons, je sais que des œufs y sont aussi pondus et que des larves vont bientôt éclore. Mais l’éclosion dépend aussi des auxiliaires qui sont aussi là et dont je prends soin. Agroscope dispose d’un bon service de prévisions qui annonce une infestation parasitaire.

De quoi disposez-vous en cas d’urgence?
Les pyréthroïdes naturels sont toujours autorisés comme mesure d’urgence contre les insectes, aucun fongicide ni herbicide n’est autorisé. Il faut alors changer de mentalité. Par exemple avec les tournesols coupés, il y a un risque de développement de champignons, donc ce risque rentre dans notre calcul et nous semons plus de tournesols: Si un groupe est infesté, alors on espère que le prochain reste sain et que nous en vendons plus. Jusqu’à présent cela a marché. Comme notre exploitation Demeter produit exclusivement en plein air, les dommages de ces dernières années ont été surtout dus aux intempéries, grêle et tempêtes. Là contre on ne peut de toute manière rien pulvériser.

Quelles sont vos considérations économiques?
L’année dernière, j’ai eu de gros problèmes avec le chou blanc et des champignons pathogènes. C’est une culture marginale chez nous. C’est pourquoi je pense à ne cultiver du chou blanc que pour la transformation fraîche et non plus pour l’entreposage. Parce que sans cuivre, je ne peux pas les avoir assez sains pour pouvoir les conserver. Il faut de meilleures variétés plus résistantes. Autrefois, on faisait de la choucroute pour conserver le chou. Ce qui est clair du point de vue économique, c’est que dans l’ensemble tout nécessite un peu plus de travail, et aussi que les prix des produits Bio sont sujets à de fortes pressions. De plus, nous avons des directives aux fournisseurs strictes dans le commerce. Mais pour nous le compte y est, et nous versons des salaires suisses raisonnables selon un contrat standard. Les frais de personnel constituent aussi le poste le plus onéreux.

Visiblement vous réussissez à répondre aux exigences élevées des grands distributeurs comme des consommateurs au niveau esthétique et qualitatif!
Oui, et nos produits sont demandés et vendus! Finalement c’est la société qui décide combien de taches sont tolérées sur une pomme ou sur une pomme-de-terre. Je constate à ce sujet un certain assouplissement, car les hommes en ont assez des pesticides et de leurs risques, et ils sont prêts à ignorer une petite tache.

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[1] Dans la définition du Plan de réduction des pesticides en Suisse (2016, p. 6) le Bt n’est pas considéré comme un pesticide, mais comme un produit phytosanitaire non problématique pour l’environnement.

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René Sgier

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Jeunes plants de brocoli pour la production de semences d'une variété résistante aux ravageurs