Page d'accueil / Thèmes / Politique agricole et paiements directs / Cul de sac avec une lueur d’espoir - rétrospective sur la politique agricole mouvementée de 2018
VISION AGRICULTURE / NEWSLETTER 19.12. 2018

Cul de sac avec une lueur d’espoir - rétrospective sur la politique agricole mouvementée de 2018

La politique agricole a connu un boom en 2018. Pas moins de cinq textes liés à l’agriculture ont été soumis au référendum – depuis les années 1990 il n’y en avait jamais eu autant. 2018 a également été l’année où la Confédération a présenté avec l’AP22+ sa vision tant attendue pour la poursuite de la politique agricole. Toutes ces activités n’ont mis en évidence qu’une seule chose: l’immobilisme. L’initiative pour une eau potable propre, qui a été déposée en janvier de cette année, a provoqué en revanche quelques remous.

(VA) Cela faisait longtemps que la Suisse n’avait pas autant discuté d’agriculture et de politique agricole. Cinq projets agricoles, sur lesquels la population a dû se prononcer, ont fourni matière à discussion tout au long de l’année 2018.

À part générer des frais, rien à signaler pourrait résumer le bref bilan. Tous les textes agricoles ont été rejetés à une exception près. Cette acceptation a été d’autant plus forte pour l’initiative pour la sécurité alimentaire, un contre-projet élaboré par la Confédération face au texte de l’Union suisse des paysans, qui a retiré son projet en voyant qu’il n’avait aucune chance. Le texte a été accepté avec un résultat record de près de 80%. 

La raison de ce succès est aussi simple que modeste: le texte laissait une interprétation très ouverte, qui a été assidûment utilisée. Les organisations environnementales y voyaient un modèle écologique, les associations économiques une occasion de réduire la protection aux frontières, tandis que l’Union suisse des paysans en espérait en revanche un renforcement de la production nationale, une restriction de l’écologie et une sauvegarde de la protection aux frontières. Aucune grande organisation ne s’est lancée dans la course contre ce texte. Également parce qu’il ne visait aucune modification explicite au niveau des lois. Un jeu démocratique inutile dans lequel les électeurs ont étonnamment joué avec passivité.

Le Conseil fédéral a achevé ce jeu inutile en novembre 2018 en présentant sa vision du futur développement de la politique agricole, qui a été élaborée ces deux dernières années: un dossier costaud de 160 pages, difficile à lire, avec de nombreuses répétitions, et quasiment dépourvu de vision. Les problèmes sont abordés et la nécessité d’agir est bien reconnue, mais le courage d’agir fait défaut. Une fois de plus, l’immobilisme est masqué par le tumulte habituel de rapports sans fin et de nombreux petits changements, qui permettront à l’administration de continuer ces prochaines années sans faire de mal à quiconque.

Immobilisme sous contrôle

Pourtant l’absence de bilan de la politique agricole suisse est grotesque au vu des milliards investis provenant de nos impôts. La Suisse s’est dotée d’un système agricole qui coûte 5 à 10 fois plus cher que dans les pays étrangers voisins. La justification de ces dépenses tient avant tout dans le soutien à une agriculture suisse durable. Pourtant la politique agricole n’a pas atteint un seul des objectifs environnementaux juridiquement contraignants ces 20 dernières années. Dans les domaines importants comme la biodiversité, l’efficience énergétique ou les émissions, la Suisse se classe parmi les pires pays d’Europe. Économiquement aussi il s’agit d’un désastre. Poussée par de fausses incitations de l’État, l’exploitation agricole suisse moyenne ne gagne aujourd’hui plus un seul centime de sa production trop chère et souvent bien trop intensive. Une grande partie de l’argent ne reste pas dans les mains des agriculteurs, mais atterri dans les secteurs en amont et en aval, qui gagnent des milliards grâce au système agricole suisse, et qui continuent d’augmenter chaque année. 

Le document soumis à la consultation sur la réforme agricole 2022+ et publié il y a quelques semaines, contrairement à ce qu’avait promis le Conseil fédéral, n’apporte aucune réponse satisfaisante à la question de savoir comment remédier aux problèmes.

Mouvements de la base

Un petit groupe externe à l’establishment de la politique agricole a créé un véritable événement. En janvier dernier, l’association „Une eau propre pour tous“ a déposé l’initiative populaire „Pour une eau potable propre et une alimentation saine – Pas de subventions pour l’utilisation de pesticides et l’utilisation d’antibiotiques à titre prophylactique“ après une collecte éclair de signatures. Presqu’aucune initiative n’a déclenché autant d’écho dans les médias à un stade aussi précoce que celle sur l’eau potable propre. Elle a suscité bien des inquiétudes au sein des milieux paysans. Des débats ont été organisés, une série ininterrompue de lettres ont rempli pendant des mois les colonnes des lecteurs de journaux paysans, et tout soudain ont eu lieu d’intenses discussions dans les milieux paysans autour des problèmes des pesticides, des préoccupations environnementales ou de la protection des eaux. 

Non sans raison. L’initiative devrait être capable de changer fondamentalement la politique agricole et lui donner l’impulsion que la politique agricole officielle bloque depuis 20 ans avec moults efforts et actions fumeuses.

Étant donné l’absence de perspectives et solutions de la politique de la Confédération, l’initiative pour une eau potable propre est porteuse d’espoir pour de nombreuses organisations. Actuellement, plusieurs études sont en cours pour évaluer l’impact d’une acceptation de l’initiative sur l’agriculture. Les premiers résultats montrent qu’une mise en œuvre pragmatique du texte de l’initiative pourrait résoudre quelques-unes des plus importantes lacunes de la politique agricole de manière raisonnable et sans nuire à l’agriculture, en particulier dans les domaines de la qualité de l’eau, de la biodiversité, des pesticides, de l’élevage et des antibiotiques. On doit se défaire de l’idée que le prix des denrées alimentaires augmenterait, entre autres car les coûts de production peuvent être considérablement réduits en même temps que la pollution de l’environnement. La sécurité alimentaire peut même être améliorée avec des sols et des eaux moins pollués. 

L'histoire se répète?

Le flot d’initiatives populaires liées à l’agriculture et l’incapacité d’agir de la politique officielle rappellent les années 1990. Aujourd’hui comme autrefois, un mécontentement diffus se fait sentir dans la population concernant le système agricole, qui coûte bien trop cher et provoque dans le même temps d’énormes dommages collatéraux. Aujourd’hui comme autrefois, les profiteurs du système disposant d’un bon réseau, et financièrement solides, tentent d’étouffer dans l’œuf tout effort de réforme. Alors que ce blocage tournait largement à vide lors des étapes de la réforme de la politique agricole 2014-17, il est à nouveau couronné de succès dans la constellation actuelle de la Berne fédérale. Plus l’impasse politique s’éternise, plus le malaise et la pression viendront du bas. L’initiative pour une eau potable propre en est un signe avant-coureur. D'autres initiatives sont en route. 

Le boom de la politique agricole va donc perdurer ces prochaines années.