(VA) C’est une volonté politique que le sucre soit encore cultivé en Suisse aujourd’hui. Et cela coûte cher au contribuable – environ 70 millions de francs par année. Cela représente environ 4000 francs par hectare, soit plus que la plupart des cultures.
Comme le prix du sucre baisse continuellement sur les marchés internationaux, la production de sucre est soumise à une pression croissante. Pour remédier à cette situation, les contributions à la culture ont encore été augmentées ces dernières années et un régime de protection douanière a été mis en place. Ces deux mesures sont controversées, c’est pourquoi la Confédération les a limitées jusqu’en 2021.
Dans le cadre de la politique agricole 2022+, il va donc falloir décider si et comment nous voulons continuer à produire du sucre à l’avenir dans notre pays. De nouvelles études commandées par l’industrie sucrière montrent que la rentabilité peut être nettement augmentée par des optimisations dans la chaîne de production. Ainsi le sucre suisse pourrait aussi avoir un avenir sans soutiens supplémentaires de l’État. Toutefois, un aspect important est occulté dans ce point de vue.
Grands déficits en matière de développement durable
Les aspects écologiques ont été presque complètement exclus de la discussion jusqu’à présent. Cela est probablement dû avant tout au fait que l’industrie sucrière a commandé plusieurs études qui attribuent un bon bilan écologique à la culture sucrière suisse. Cela a donné l’impression que tout va au mieux dans ce domaine. Mais les résultats des études ont été fondamentalement remis en question par des organisations environnementales, et les déclarations ont été critiquées comme étant tendancieuses.
Le fait est qu’en comparaison avec d’autres grandes cultures en Suisse, la culture de la betterave sucrière a recours à des quantités particulièrement importantes de pesticides. Parmi eux, il y a certaines substances actives parmi les plus toxiques, dont l’interdiction a été demandée à plusieurs reprises. Par exemple l’insecticide chlorpyrifos qui est extrêmement toxique même en très petite quantité autant pour les hommes que pour les animaux, et qui a un effet nocif sur la reproduction et les nerfs (voir encadré 1).
Comme le sol des champs de betteraves reste longuement nu, les betteraves sucrières font partie des cultures les plus soumises à l’érosion. Les pesticides utilisés sont ainsi très facilement emportés dans les eaux de surface en cas de pluie. De nouvelles mesures montrent que par exemple le chlorpyrifos est présent dans la plupart des cours d'eau étudiés et nuit gravement aux microorganismes.
En plus de l’ampleur de l’utilisation des pesticides dans les betteraves sucrières cultivées traditionnellement, il y a le problème du compactage du sol. La récolte des betteraves intervient généralement à la fin de l’automne. En raison des conditions souvent humides, le sol est alors particulièrement sensible aux contraintes mécaniques. C’est pourtant dans les cultures de betteraves sucrières que sont utilisées les machines les plus lourdes, laissant derrière elles une image d’horreur: un compactage irréversible du sol qui compromet la croissance des cultures suivantes pour de nombreuses années.
Alternatives à la culture de la betterave sucrière dangereuse pour l’environnement
Et si nous arrêtions de produire du sucre en Suisse? Une importation de sucre de betteraves de l’étranger ne serait guère plus écologique, mais serait plus de moitié moins chère que la matière première indigène.
Du point de vue écologique, seules deux solutions semblent meilleures: un remplacement par du sucre fair trade serait doublement avantageux car il est produit avec beaucoup moins d’engrais et de pesticides et est de plus bien meilleur marché. Une autre solution consisterait à ne verser des subventions qu’aux cultures raisonnablement écologiques pour la production de sucre indigène, ce qui est tout à fait possible (voir encadré 2). La superficie consacrée à la betterave sucrière pourrait être un peu réduite et la transformation rassemblée sur un seul site de production (au lieu de deux actuellement). Et la sécurité de l’approvisionnement serait ainsi toujours parfaitement assurée.
Il est absurde d’empoisonner l’environnement avec les pesticides les plus toxiques et les plus problématiques en Suisse juste pour pouvoir mettre sur le marché du sucre suisse fortement subventionné. Le slogan de l’Initiative pour une eau potable propre "Nous subventionnons la pollution de notre propre eau potable" prend tout son sens concernant la culture de la betterave sucrière conventionnelle.
Bilan
La question de savoir s’il est logique de subventionner autant la culture de la betterave sucrière, a été soulevée à maintes reprises ces dernières années. D’autant plus que la Confédération mène en même temps des campagnes de prévention pour réduire la consommation de sucre.
Si l’État investit déjà 70 millions de francs par année dans une production indigène de sucre, alors la culture de betteraves doit au moins être quelque peu respectueuse de l’environnement. Toute autre approche est en nette contradiction avec l’art. 104 de la Constitution. Des betteraves sucrières sont aujourd’hui déjà cultivées selon les directives IP-Suisse et Bio et soutenues par diverses contributions de la Confédération. Ces méthodes de culture résolvent la plupart des problèmes environnementaux. Nous devons nous engager en faveur d’une production respectueuse de l’environnement sur l’ensemble du territoire – ou alors tirer un trait définitif sur la production de sucre suisse.
Informations supplémentaires:
>> Comment l’État rend la vie plus douce aux producteurs suisse de sucre
>> Étude économique sucre suisse
>> Comparaison entre l’empreinte environnementale du sucre suisse et celle du sucre de betterave importé de l’Union européenne, version abrégée de l’étude en français
>> Fiche technique du FiBL sur les betteraves Bio (en allemand) «Merkblatt Zuckerrüben»
>> Bilan climatique du sucre
Encadré 1: Utilisation massive de pesticides dans la culture traditionnelle de la betterave sucrière
Les betteraves sucrières font partie des grandes cultures les plus productives en ce qui concerne la production de calories par hectare. Mais la culture est exigeante. Les jeunes plantes de betteraves sont peu compétitifs et donc vulnérables à l’envahissement par les adventices. Comme les feuilles de betteraves ne couvrent pas le sol pendant très longtemps, et que les jeunes plantes sont sensibles aux herbicides, il faut trois à six traitements dits «splits» contre les mauvaises herbes. Les pesticides sont pulvérisés directement sur le sol nu. Le risque de ruissellement est donc particulièrement grand. Outre la pression des mauvaises herbes, certaines espèces d’insectes, en particulier les larves de tipules, représentent un danger pour les jeunes plantes. C’est pour ça que des insecticides avec la substance active chlorpyrifos sont souvent appliqués sous forme de granulés tout de suite après le semis. La substance active chlorpyrifos n’est pas seulement très toxique avec des effets à long terme pour les organismes aquatiques, mais aussi pour l’homme, notamment pour le développement de l’enfant à naître dans l’utérus. Alors que l’utilisation d’insecticides qui contiennent du chlorpyrifos est déjà interdite en Allemagne depuis dix ans, ces produits sont encore autorisés en Suisse.
En plus des insecticides dangereux pour la santé humaine et animale, d’énormes quantités de fongicides sont aussi pulvérisés dans les cultures conventionnelles de la betterave sucrière. C’est ainsi que le pourridié des racines, les maladies du feuillage telles que la cercosporiose, la ramulariose, l’oïdium et la rouille sont traités avec des pesticides comme par ex. Amistar Xtra. Le produit contient des substances actives comme azoxystrobine et cyproconazole, qui ont un effet très nocif sur les organismes aquatiques et peuvent causer des dommages à vie aux enfants à naître. En revanche, aucun pesticide n’est utilisé dans la culture Bio des betteraves sucrières. Mais les rendements sont en conséquence plus faibles.
Encadré 2: Défis et solutions pour une culture durable de betteraves sucrières
Abandonner les pesticides dans la culture de la betterave sucrière, c’est un challenge. Le chemin du succès commence déjà avant le semis. Ainsi, le bon site, les propriétés du sol, une rotation culturale adaptée, ainsi que la sélection des variétés jouent une grand rôle pour un développement sain et une bonne capacité de résistance. Aujourd’hui, il existe déjà sur le marché des variétés très résistantes qui sont moins sensibles à la cercosporiose et également bien tolérantes à la rhizomanie.
Afin de renoncer à l’utilisation de pesticides pour une culture durable de la betterave sucrière, différentes mesures doivent être prises. En cas d’abandon des pesticides, un lit de semences propre est indispensable. Plus tard, les betteraves peuvent être «étrillées à l’aveugle» et hachées. Cependant, il manque à ce jour une technologie fiable avec laquelle les lignes peuvent aussi être hachées avec une machine. Le désherbage manuel prend encore beaucoup de temps (jusqu’à 200h par ha). Avec une rotation culturale adaptée en conséquence, par ex. pas de betteraves sucrières après la destruction de prairie, on peut maîtriser les larves de tipules. Ce qui permet de renoncer complètement à l’utilisation d’insecticides. Un autre problème redouté par de nombreux planteurs de betteraves, c’est l’infestation sur toute la surface de la cercosporiose. Cela peut être évité avec une récolte précoce. Cela réduit un peu le rendement, mais cela ménage aussi le sol qui est généralement plus praticable en début d’automne que lors de dates tardives de récoltes.
La production agricole durable de betteraves sucrières est possible et a été testée. Mais cela nécessite de repenser autant la culture que les subventions.